Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/138

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sition, et que l’on exprime toujours en français je suis homme : un seul mot, comme quand je dis vivo, sedeo ; car ces verbes enferment dans eux-mêmes l’affirmation et l’attribut, comme nous avons déjà dit ; et, étant à la première personne, ils enferment encore le sujet je suis vivant, je suis assis. De là est venue la différence des personnes qui est ordinairement dans tous les verbes.

III. — Ils ont encore joint un rapport au temps au regard duquel on affirme ; de sorte qu’un seul mot, comme cœnasti, signifie que j’affirme de celui à qui je parle l’action de souper, non pour le temps présent, mais pour le passé, et de là est venue la diversité des temps qui est encore pour l’ordinaire commune à tous les verbes.

La diversité des significations, jointe à un même mot, est ce qui a empêché beaucoup de personnes, d’ailleurs fort habiles, de bien connaître la nature du verbe, parce qu’ils ne l’ont pas considéré selon ce qui lui est essentiel, qui est l’affirmation, mais selon ces autres rapports qui lui sont accidentels en tant que verbe.

Ainsi Aristote s’étant arrêté à la troisième des significations ajoutées à celle qui est essentielle au verbe, l’a défini, vox significans cum tempore[1], un mot qui signifie avec temps.

D’autres, comme Buxtorf[2], ayant ajouté la seconde, l’ont défini, vox flexilis cum tempore et persona, un mot qui a diverses inflexions avec temps et personnes.

D’autres s’étant arrêtés à la première de ces significations ajoutées, qui est celle de l’attribut, et ayant considéré que les attributs que les hommes ont joints à l’affirmation dans un même mot sont d’ordinaire des actions et des passions, ont cru que l’essence du verbe consistait à signifier des actions ou des passions.

Et enfin, Jules-César Scaliger a cru trouver un mystère dans son livre des Principes de la langue latine, en disant que la distinction de choses in permanentes et fluentes, en ce qui demeure et ce qui passe, était la vraie origine de la distinction entre les noms et les verbes, les noms étant pour signifier ce qui demeure et les verbes ce qui passe.

Mais il est aisé de voir que toutes ces définitions sont fausses et n’expliquent point la vraie nature du verbe.

La manière dont sont conçues les deux premières le fait assez voir, puisqu’il n’y est point dit ce que le verbe signifie, mais seulement ce avec quoi il signifie, cum tempore, cum persona.

Les deux dernières sont encore plus mauvaises ; car elles ont les deux

  1. « Le verbe est le mot qui, outre sa signification propre, embrasse l’idée de temps, et dont aucune partie isolée n’a de sens par elle-même ; et il est toujours le signe des choses attribuées à d’autres choses. Je dis qu’il embrasse l’idée de temps, outre sa signification propre : par exemple : la santé, n’est qu’un nom : il se porte bien, est un verbe ; car il exprime en outre que la chose est dans le moment actuel ; de plus, il est toujours le signe de choses attribuées à d’autres choses ; par exemple, de choses dites d’un sujet ou qui sont dans un sujet. » Aristote, Hermeneia, ch. III.
  2. Jean Buxtorf, hébraïsant, né en Westphalie en 1564, mort en 1629.