Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/137

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principale manière de notre pensée, que d’en inventer qui marquassent les objets de nos pensées.

Et c’est proprement en quoi consiste ce que l’on appelle verbe, qui n’est rien autre qu’un mot dont le principal usage est de signifier l’affirmation, c’est-à-dire de marquer que le discours où ce mot est employé est le discours d’un homme qui ne conçoit pas seulement les choses, mais qui en juge et qui les affirme ; en quoi le verbe est distingué de quelques noms, qui signifient aussi l’affirmation, comme affirmans, affirmatio, parce qu’ils ne la signifient qu’en tant que, par une réflexion d’esprit elle est devenue l’objet de notre pensée ; et ainsi ils ne marquent pas que celui qui se sert de ces mots affirme, mais seulement qu’il conçoit une affirmation.

J’ai dit que le principal usage du verbe était de signifier l’affirmation, parce que nous ferons voir plus bas que l’on s’en sert encore pour signifier d’autres mouvements de notre âme, comme ceux de désirer, de prier, de commander, etc. Mais ce n’est qu’en changeant d’inflexion et de mode, et ainsi nous ne considérons le verbe, dans tout ce chapitre, que selon sa principale signification, qui est celle qu’il a à l’indicatif. Selon cette idée, l’on peut dire que le verbe de lui-même ne devrait point avoir d’autre usage que de marquer la liaison que nous faisons dans notre esprit des deux termes d’une proposition ; mais il n’y a que le verbe être, qu’on appelle substantif, qui soit demeuré dans cette simplicité, et encore n’y est-il proprement demeuré que dans la troisième personne du présent est, et en de certaines rencontres ; car, comme les hommes se portent naturellement à abréger leurs expressions, ils ont joint presque toujours à l’affirmation d’autres significations dans un même mot.

I. — Ils y ont joint celle de quelque attribut, de sorte qu’alors deux mots font une proposition, comme quand je dis : Petrus vivit, Pierre vit, parce que le mot de vivit enferme seul l’affirmation, et de plus l’attribut d’être vivant ; et ainsi c’est la même chose de dire Pierre vit, que de dire Pierre est vivant. De là est venue la grande diversité des verbes dans chaque langue ; au lieu que si l’on s’était contenté de donner au verbe la signification générale de l’affirmation, sans y joindre aucun attribut particulier, on n’aurait eu besoin dans chaque langue que d’un seul verbe, qui est celui que l’on appelle substantif.

II. — Ils ont encore joint en de certaines rencontres le sujet de la proposition ; de sorte qu’alors deux mots peuvent encore, et même un seul mot, faire une proposition entière : deux mots, comme quand je dis sum homo, parce que sum ne signifie pas seulement l’affirmation, mais enferme la signification du pronom ego qui est le sujet de cette propo-