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CHAPITRE VII

De la fausseté qui peut se trouver dans les termes complexes et dans les propositions incidentes.


Ce que nous venons de dire peut servir à résoudre une question célèbre, qui est de savoir si la fausseté ne peut se trouver que dans les propositions, et s’il n’y en a point dans les idées et dans les simples termes.

Je parle de la fausseté plutôt que de la vérité, parce qu’il y a une vérité qui est dans les choses par rapport à l’esprit de Dieu, soit que les hommes y pensent ou n’y pensent pas ; mais il ne peut y avoir de fausseté que par rapport à l’esprit de l’homme, ou à quelque esprit sujet à erreur, qui juge faussement qu’une chose est ce qu’elle n’est pas.

On demande donc si cette fausseté ne se rencontre que dans les propositions et dans les jugements.

On répond ordinairement que non, ce qui est vrai en un sens ; mais cela n’empêche pas qu’il n’y ait quelquefois de la fausseté, non dans les idées simples, mais dans les termes complexes, parce qu’il suffit pour cela qu’il y ait quelque jugement et quelque affirmation, ou expresse, ou virtuelle.

C’est ce que nous verrons mieux en considérant en particulier les deux sortes de termes complexes, l’une dont le qui est explicatif, l’autre dont il est déterminatif.

Dans la première sorte de termes complexes, il ne faut pas s’étonner s’il peut y avoir de la fausseté ; parce que l’attribut de la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte. Alexandre qui est fils de Philippe ; j’affirme, quoique incidemment, du fils de Philippe, d’Alexandre, et par conséquent il y a en cela de la fausseté, si cela n’est pas.

Mais il faut remarquer deux ou trois choses importantes : 1o Que la fausseté de la proposition incidente n’empêche pas, pour l’ordinaire, la vérité de la proposition principale. Par exemple : Alexandre, qui a été fils de Philippe, a vaincu les Perses : cette proposition doit passer pour vraie, quand Alexandre ne serait pas fils de Philippe, parce que l’affirmation de la proposition principale ne tombe que sur Alexandre ; et ce qu’on y a joint incidemment, quoique faux, n’empêche point qu’il soit vrai qu’Alexandre ait vaincu les Perses.

Que si néanmoins l’attribut de la proposition principale avait rapport à la proposition incidente, comme si je disais : Alexandre, fils de Philippe, était petit-fils d’Amyntas, ce serait alors seulement que la fausseté de la proposition incidente rendrait fausse la proposition principale.