Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/154

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2o Les titres qui se donnent communément à certaines dignités peuvent se donner à tous ceux qui possèdent cette dignité, quoique ce qui est signifié par ce titre ne leur convienne en aucune sorte. Ainsi, parce qu’autrefois le titre de saint et de très-saint se donnait à tous les évêques, on voit que les évêques catholiques, dans la conférence de Carthage, ne faisaient point de difficulté de donner ce nom aux évêques donatistes[1], sanctissimus Petilianus dixit, quoiqu’ils sussent bien qu’il ne pouvait pas y avoir de véritable sainteté dans un évêque schismatique. Nous voyons aussi que saint Paul, dans les Actes, donne le titre de très-bon ou très-excellent à Festus, gouverneur de Judée, par ce que c’était le titre qu’on donnait d’ordinaire à ces gouverneurs.

3o Il n’en est pas de même quand une personne est l’auteur d’un titre qu’il donne à un autre, et qu’il le lui donne parlant de lui-même, non selon l’opinion des autres, ou selon l’erreur populaire ; car on peut alors lui imputer avec raison la fausseté de ces propositions. Ainsi quand un homme dit : Aristote, qui est le prince des philosophes, ou simplement, le prince des philosophes, a cru que l’origine des nerfs était dans le cœur, on n’aurait pas droit de lui dire que cela est faux, parce qu’Aristote n’est pas le plus excellent des philosophes ; car il suffit qu’il ait suivi en cela l’opinion commune, quoique fausse. Mais si un homme disait : Gassendi, qui est le plus habile des philosophes, croit qu’il y a du vide dans la nature, on aurait sujet de disputer à cet homme la qualité qu’il voudrait donner à Gassendi, et de le rendre responsable de la fausseté qu’on pourrait prétendre se trouver dans cette proposition incidente. L’on peut donc être accusé de fausseté en donnant à la même personne un titre qui ne lui convient pas, et n’en être pas accusé en lui en donnant un autre qui le convient encore moins dans la vérité. Par exemple : Le pape Jean XII n’était ni saint, ni chaste, ni pieux, comme Baronius le reconnaît, et cependant ceux qui l’appelaient très-saint ne pouvaient être repris de mensonge, et ceux qui l’eussent appelé très-chaste ou très-pieux eussent été de fort grands menteurs, quoiqu’ils ne l’eussent fait que par des propositions incidentes, comme s’ils eussent dit : Jean XII, très-chaste pontife, a ordonné telle chose.

Voilà pour ce qui est des premières sortes de propositions incidentes dont le qui est explicatif ; quant aux autres, dont le qui est déterminatif, comme : Les hommes qui sont pieux, les rois qui aiment leurs peuples, il est certain que, pour l’ordinaire, elles ne sont pas susceptibles de fausseté, parce que l’attribut de la proposition incidente n’y est pas affirmé du sujet auquel le qui se rapporte.

Car, si l’on dit, par exemple, que les juges qui ne font jamais rien par prière et par faveur, sont dignes de louanges, on ne dit pas pour cela qu’il n’y ait aucun juge sur la terre qui soit dans cette perfection. Néanmoins, je crois qu’il y a toujours dans ces propositions une affirmation tacite et virtuelle, non de la convenance actuelle de l’attribut au sujet auquel le qui se rapporte, mais de la convenance possible. Et si on se

  1. Donatistes, partisans de Donat, évêque schismatique de Carthage (316).