Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/167

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maxime d’Épicure, la douleur est le plus grand de tous les maux, était contredite d’une sorte par les stoïciens, et d’une autre par les péripatéticiens ; car les péripatéticiens avouaient que la douleur était un mal ; mais ils soutenaient que les vices et les autres déréglements d’esprit étaient de bien plus grands maux ; au lieu que les stoïciens ne voulaient pas même reconnaître que la douleur fût un mal, bien loin d’avouer que ce fût le plus grand de tous les maux.

Mais on peut traiter ici une question, qui est de savoir s’il est toujours nécessaire que, dans ces propositions, le positif du comparatif convienne à tous les deux membres de la comparaison, et s’il faut, par exemple, supposer que deux choses soient bonnes, afin de pouvoir dire que l’une est meilleure que l’autre.

Il semble d’abord que cela devrait être ainsi ; mais l’usage est au contraire, puisque nous voyons que l’Écriture se sert du mot meilleur non-seulement en comparant deux biens ensemble, melior est sapientia quam vires, et vir prudens quam fortis, la sagesse vaut mieux que la force, et l’homme prudent que l’homme vaillant ;

Mais aussi en comparant un bien à un mal, melior est patiens arrogante ; un homme patient vaut mieux qu’un homme superbe ;

Et même en comparant deux maux ensemble, melius est habitare cum dracone, quam cum muliere ligigiosa ; il vaut mieux demeurer avec un dragon qu’avec une femme querelleuse. Et dans l’Évangile : il vaut mieux être jeté dans la mer une pierre au cou, que de scandaliser le moindre des fidèles.

La raison de cet usage est qu’un plus grand bien est meilleur qu’un moindre, parce qu’il a plus de bonté qu’un moindre bien. Or, par la même raison, on peut dire, quoique moins proprement, qu’un bien est meilleur qu’un mal, parce que ce qui a de la bonté en a plus que ce qui n’en a point ; et l’on peut dire aussi qu’un moindre mal est meilleur qu’un plus grand mal, parce que la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté que ce qui est plus mauvais.

Il faut donc éviter de s’embarrasser mal à propos par la chaleur de la dispute à chicaner sur ces façons de parler, comme fit un grammairien donatiste, nommé Cresconius, en écrivant contre saint Augustin ; car ce saint ayant dit que les catholiques avaient plus de raison de reprocher aux donatistes d’avoir livré les livres sacrés, que les donatistes n’en avaient de le reprocher aux catholiques : Traditionem non vobis probabilius objicimus, Cresconius s’imagina avoir droit de conclure de ces paroles, que saint Augustin avouait par là que les donatistes avaient raison de le reprocher aux catholiques. Si enim vos probabilius, disait-il, nos ergo probabiliter : nam gradus iste quod ante positum est auget, non quod ante dictum est improbat. Mais saint Augustin réfute premièrement cette vaine subtilité par des exemples de l’Écriture, et entre autres par ce passage de l’Épître aux Hébreux, où saint Paul ayant dit que la terre qui ne porte que des épines était maudite, et ne devait attendre que le feu, il ajoute : Confidimus autem de vobis, fratres charissimi, meliora ; non quia, dit ce