Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/170

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magnus pietas cum sufficientia[1], le vrai ordre serait, pietas cum sufficientia est quæstus.

Et de même dans ces vers :

Felix qui potuit rerum cognoscere causas ;
Atque metus omnes, et inexorabile fatum
Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari…, etc.[2].

Felix est l’attribut, et le reste le sujet.

Le sujet et l’attribut sont souvent encore plus difficiles à reconnaître dans les propositions complexes ; et nous avons déjà vu qu’on ne peut quelquefois juger que par la suite du discours et l’intention d’un auteur quelle est la proposition principale, et quelle est l’incidente dans ces sortes de propositions.

Mais, outre ce que nous avons dit, on peut encore remarquer que, dans ces propositions complexes, où la première partie n’est que la proposition incidente, et la dernière est la principale, comme dans la majeure et la conclusion de ce raisonnement :

Dieu commande d’honorer les rois :

Louis XIV est roi :

Donc Dieu commande d’honorer Louis XIV ;

il faut souvent changer le verbe actif en passif, pour avoir le vrai sujet de cette proposition principale, comme dans cet exemple même ; car il est visible que, raisonnant de la sorte, mon intention principale, dans la majeure, est d’affirmer quelque chose des rois, dont je puisse conclure qu’il faut honorer Louis XIV ; et ainsi ce que je dis du commandement de Dieu n’est proprement qu’une proposition incidente qui confirme cette affirmation : « Les rois doivent être honorés ; » reges sunt honorandi. D’où il s’ensuit que les rois est le sujet de la majeure, et Louis XIV le sujet de la conclusion, quoiqu’à ne considérer les choses que superficiellement, l’une et l’autre semblent n’être qu’une partie de l’attribut.

Ce sont aussi des propositions fort ordinaires à notre langue : C’est une folie que de s’arrêter à des flatteurs ; c’est de la grêle qui tombe ; c’est un Dieu qui nous a rachetés. Or, le sens doit faire encore juger que pour les remettre dans l’arrangement naturel, en plaçant le sujet avant l’attribut, il faudrait les exprimer ainsi : S’arrêter à des flatteurs est une folie ; ce qui tombe est de la grêle ; celui qui nous a rachetés est Dieu ; et cela est presque universel dans toutes les propositions qui commencent par c’est, où l’on trouve après un qui ou un que, d’avoir leur attribut au commencement et le sujet à la fin. C’est assez d’en avoir averti une fois, et tous ces exemples ne sont que pour faire voir qu’on en doit juger par le sens, et non par l’ordre des mots. Ce qui est un avis très-nécessaire pour ne pas se tromper, en prenant des syllogismes pour vicieux qui sont en effet très-bons ; parce que, faute de discerner dans les propositions le sujet et l’attribut, on croit qu’ils sont contraires aux règles lorsqu’ils y sont très-conformes[3].

  1. Ad Timotheum, vi, 6.
  2. Virgile, Georg., ii, v. 490 à 599.
  3. Voir la troisième partie, ch. ii.