Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/201

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dans l’esprit, parce qu’il supplée la proposition qui n’est pas exprimée, mais qui est imparfaite dans l’expression, et ne conclut qu’en vertu de cette proposition sous-entendue.

J’ai dit qu’il y avait au moins trois propositions dans un raisonnement ; mais il pourrait y en avoir beaucoup davantage, sans qu’il fût pour cela défectueux, pourvu qu’on garde toujours les règles ; car, si, après avoir consulté une troisième idée, pour savoir si un attribut convient ou ne convient pas à un sujet, et l’avoir comparée avec un des termes, je ne sais pas encore s’il convient ou ne convient pas au second terme, j’en pourrais choisir une quatrième pour m’éclaircir, et une cinquième si celle-là ne suffit pas, jusqu’à ce que je vinsse à une idée qui liât l’attribut de la conclusion avec le sujet[1].

Si je doute, par exemple, si les avares sont misérables, je pourrai considérer d’abord que les avares sont pleins de désirs et de passions ; si cela ne me donne pas lieu de conclure : donc ils sont misérables, j’examinerai ce que c’est que d’être plein de désirs, et je trouverai dans cette idée celle de manquer de beaucoup de choses que l’on désire, et la misère dans cette privation de ce que l’on désire ; ce qui me donnera lieu de former ce raisonnement : Les avares sont pleins de désirs : ceux qui sont pleins de désirs manquent de beaucoup de choses, parce qu’il est impossible qu’ils satisfassent tous leurs désirs : ceux qui manquent de ce qu’ils désirent sont misérables : donc les avares sont misérables.

Ces sortes de raisonnements, composés de plusieurs propositions, dont la seconde dépend de la première, et ainsi du reste, s’appellent sorites[2], et ce sont ceux qui sont les plus ordinaires dans les mathématiques ; mais parce que, quand ils sont longs, l’esprit a plus de peine à les suivre, et que le nombre de trois propositions est assez proportionné avec l’étendue de notre esprit, on a

  1. On intercale ainsi une série de moyens termes entre les extrêmes : cette opération fait le fond et l’essence de la méthode scientifique.
  2. Sorite, tas de propositions : σωρός.