Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/24

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nant ici ce nom plus généralement qu’on ne le prend dans les écoles, pour toute connaissance d’un objet tiré de l’objet même.

» L’autre voie est l’autorité des personnes dignes de croyance qui nous assurent qu’une telle chose est, quoique par nous-mêmes nous n’en sachions rien ; ce qui s’appelle foi ou croyance, selon cette parole de saint Augustin : Quod scimus, debemus rationi ; quod credimus, auctoritati.

» Mais comme cette autorité peut être de deux sortes, de Dieu ou des hommes, il y a aussi deux sortes de foi, divine et humaine.

CHAPITRE XIII. — Quelques règles pour bien conduire sa raison dans la croyance des événements qui dépendent de la foi humaine.

» Pour juger de la vérité d’un événement, et se déterminer à le croire ou à ne pas le croire, il ne faut pas le considérer nûment et en lui-même, comme on ferait une proposition de géométrie ; mais il faut prendre garde à toutes les circonstances qui l’accompagnent, tant intérieures qu’extérieures. J’appelle circonstances intérieures celles qui appartiennent au fait même, et extérieures celles qui regardent les personnes par le témoignage desquelles nous sommes portés à le croire. Cela étant fait, si toutes ces circonstances sont telles qu’il n’arrive jamais, ou fort rarement, que de pareilles circonstances soient accompagnées de fausseté, notre esprit se porte naturellement à croire que cela est vrai, et il a raison de le faire, surtout dans la conduite de la vie, qui ne demande pas une plus grande certitude que cette certitude morale, et qui doit même se contenter en plusieurs rencontres de la plus grande probabilité.

CHAPITRE XVI. — Du jugement que l’on doit faire des accidents futurs.

» Ces règles, qui servent à juger des faits passés, peuvent facilement s’appliquer aux faits à venir ; car, comme l’on doit croire probablement qu’un fait est arrivé lorsque les circonstances certaines que l’on connaît sont ordinairement jointes avec ce fait, on doit croire aussi probablement qu’il arrivera lorsque les circonstances présentes sont telles qu’elles sont ordinairement suivies d’un tel effet. C’est ainsi que les médecins peuvent juger du bon ou du mauvais succès des maladies, les capitaines des événements futurs d’une guerre, et que l’on juge dans le monde de la plupart des affaires contingentes.

» Mais à l’égard des accidents où l’on a quelque part, et que l’on peut ou procurer ou empêcher en quelque sorte par ses soins en s’y exposant ou en les évitant, il arrive à bien des gens de tomber dans une illusion qui est d’autant plus trompeuse qu’elle leur paraît plus raisonnable. C’est qu’ils ne regardent que la grandeur et la conséquence de l’avantage qu’ils souhaitent ou de l’inconvénient qu’ils craignent, sans considérer en aucune sorte l’apparence et la probabilité qu’il y a que cet avantage ou cet inconvénient arrive ou n’arrive pas. »