Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/274

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que X dans le même instant occupe la place d’A ; par ce moyen il y aura du mouvement, et il n’y aura point de vide.

Or, que ce soit un cas possible, c’est-à-dire qu’il puisse arriver qu’un corps occupe la place d’un autre corps au même instant que ce corps la quitte, c’est une chose qu’on est obligé de reconnaître dans quelque hypothèse que ce soit, pourvu seulement qu’on admette quelque matière continue : car, par exemple, en distinguant dans un bâton deux parties qui se suivent immédiatement, il est clair que, lorsqu’on le remue, au même instant que la première quitte un espace, cet espace est occupé par la seconde, et qu’il n’y en a point où l’on puisse dire que cet espace est vide de la première et n’est pas rempli de la seconde. Cela est encore plus clair dans un cercle de fer qui tourne autour de son centre ; car alors chaque partie occupe au même instant l’espace qui a été quitté par celle qui la précède, sans qu’il soit besoin de s’imaginer aucun vide. Or, si cela est possible dans un cercle de fer, pourquoi ne le sera-t-il pas dans un cercle qui sera en partie de pois et en partie d’air ? et pourquoi le corps A, que l’on suppose de bois, poussant et déplaçant le corps B, que l’on suppose d’air, le corps B n’en pourra-t-il pas déplacer un autre, et cet autre un autre jusqu’à X, qui entrera dans la même place qu’A au même temps qu’il la quittera ?

Il est donc clair que le défaut du raisonnement de Gassendi vient de ce qu’il a cru qu’afin qu’un corps occupât la place d’un autre, il fallait que cette place fût vide auparavant, et en un instant précédent, et qu’il n’a pas considéré qu’il suffisait qu’elle se vidât au même instant[1].

Les autres preuves qu’il rapporte sont tirées de diverses expériences par lesquelles il fait voir, avec raison, que l’air se comprime, et que l’on peut faire entrer un

  1. La question du vide, du plein et du mouvement est beaucoup plus difficile qu’Arnauld ne semble le croire, et nous ne possédons encore aucune solution satisfaisante.