Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

endroit pour une démonstration aussi claire que celle des mathématiques, est celui-ci :

S’il n’y avait point de vide et que tout fût rempli de corps, le mouvement serait impossible, et le monde ne serait qu’une grande masse de matière roide, inflexible et immobile ; car le monde étant tout rempli, aucun corps ne peut se remuer qu’il ne prenne la place d’un autre : ainsi, si le corps A se remue, il faut qu’il déplace un autre corps au moins égal à soi, savoir B ; et B, pour se remuer, en doit aussi déplacer un autre. Or, cela ne peut arriver qu’en deux manières : l’une, que ce déplacement des corps aille à l’infini, ce qui est ridicule et impossible ; l’autre, qu’il se fasse circulairement, et que le dernier corps déplacé occupe la place d’A.

Il n’y a point encore jusques ici de dénombrement imparfait ; et il est vrai, de plus, qu’il est ridicule de s’imaginer qu’en remuant un corps, on en remue jusqu’à l’infini, qui se déplacent l’un l’autre : l’on prétend seulement que le mouvement se fait en cercle, et que le dernier corps remué occupe la place du premier, qui est A, et qu’ainsi tout se trouve rempli. C’est aussi ce que Gassendi entreprend de réfuter par cet argument : le premier corps remué, qui est A, ne peut se mouvoir, si le dernier, qui est X, ne peut se remuer. Or, X ne peut se remuer, puisque pour se remuer il faudrait qu’il prît la place de A, laquelle n’est pas encore vide ; et partant, X ne pouvant se remuer, A ne le peut aussi : donc tout demeure immobile. Tout ce raisonnement n’est fondé que sur cette supposition, que le corps X, qui est immédiatement devant A, ne puisse se remuer qu’en un seul cas, qui est, que la place de A soit déjà vide lorsqu’il commence à se remuer : en sorte qu’avant l’instant où il l’occupe, il y en ait un autre où l’on puisse dire qu’elle est vide. Mais cette supposition est fausse et imparfaite, parce qu’il y a encore un cas dans lequel il est très-possible que X se remue, qui est, qu’au même instant qu’il occupe la place de A, A quitte cette place, et dans ce cas il n’y a nul inconvénient que A pousse B, et B pousse C jusqu’à X, et