Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/276

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certainement rempli d’aucune matière sensible[1] ; il reconnaît, dis-je, qu’on ne peut pas prétendre avec raison que cet espace soit absolument vide, puisque la lumière y passe, laquelle il prend pour un corps.

Ainsi, en remplissant de matière subtile ces espaces qu’il prétend être vides, il trouvera autant de place pour y faire entrer de nouveaux corps que s’ils étaient actuellement vides.

V. Juger d’une chose par ce qui ne lui convient que par accident.

Ce sophisme est appelé dans l’école fallacia accidentis, qui est lorsque l’on tire une conclusion absolue, simple et sans restriction de ce qui n’est vrai que par accident[2]. C’est ce que font tant de gens qui déclament contre l’antimoine, parce qu’étant mal appliqué il produit de mauvais effets[3] ; et d’autres qui attribuent à l’éloquence tous les mauvais effets qu’elle produit quand on en abuse ; ou à la médecine, les fautes de quelques médecins ignorants.

C’est par là que les hérétiques de ce temps[4] ont fait croire à tant de peuples abusés qu’on devait rejeter comme des inventions de Satan l’invocation des saints, la vénération des reliques, la prière pour les morts, parce qu’il s’était glissé des abus et de la superstition parmi ces saintes pratiques autorisées par toute l’antiquité ; comme si le mauvais usage que les hommes peuvent faire des meilleures choses les rendait mauvaises.

On tombe souvent aussi dans ce mauvais raisonnement, quand on prend les simples occasions pour les véritables causes : comme qui accuserait la religion chrétienne d’avoir été la cause du massacre d’une infinité de personnes qui ont mieux aimé souffrir la mort que de renoncer Jésus-Christ ; au lieu que ce n’est pas à la reli-

  1. Il s’agit du vide barométrique.
  2. Les conclusions se trouvent alors dépasser les prémisses.
  3. Allusion à l’abus de l’émétique.
  4. Les partisans de la religion réformée.