Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/277

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gion chrétienne, ni à la constance des martyrs, qu’on doit attribuer ces meurtres, mais à la seule injustice et à la seule cruauté des païens. C’est par ce sophisme qu’on impute souvent aux gens de bien d’être cause de tous les maux qu’ils eussent pu éviter en faisant des choses qui eussent blessé leur conscience, parce que s’ils avaient voulu se relâcher dans cette exacte observance de la loi de Dieu, ces maux ne seraient pas arrivés.

On voit aussi un exemple considérable de ce sophisme dans le raisonnement ridicule des épicuriens, qui concluaient que les dieux devaient avoir une forme humaine, parce que, dans toutes les choses du monde, il n’y avait que l’homme qui eût l’usage de la raison. Les dieux, disaient-ils, sont très-heureux : nul ne peut être heureux sans la vertu ; il n’y a point de vertu sans la raison ; et la raison ne se trouve nulle part ailleurs qu’en ce qui a la forme humaine : il faut donc avouer que les dieux sont en forme humaine. Mais ils étaient bien aveugles de ne pas voir que, quoique dans l’homme la substance qui pense et qui raisonne soit jointe à un corps humain, ce n’est pas néanmoins la figure humaine qui fait que l’homme pense et raisonne, étant ridicule de s’imaginer que la raison et la pensée dépendent de ce qu’il a un nez, une bouche, des joues, deux bras, deux pieds ; et ainsi c’était un sophisme puéril à ces philosophes de conclure qu’il ne pouvait y avoir de raison que dans la forme humaine, parce que dans l’homme elle se trouvait jointe par accident à la forme humaine.

VI. Passer du sens divisé au sens composé, ou du sens composé au sens divisé.

L’un de ces sophismes s’appelle fallacia compositionis[1], et l’autre fallacia divisionis[2]. On les comprendra mieux par des exemples.

Jésus-Christ dit dans l’Évangile, en parlant de ses mi-

  1. Aristote l’appelle σύνθεσις.
  2. Aristote l’appelle διαίρεσις.