Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/281

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quatre termes : soit parce que le milieu y est pris deux fois particulièrement[1] ; ou parce qu’il est pris en un sens dans la première proposition, et en un autre sens dans la seconde ; ou enfin parce que les termes de la conclusion ne sont pas pris dans le même sens dans les prémisses que dans la conclusion : car nous ne restreignons pas le mot d’ambiguïté aux seuls mots qui sont grossièrement équivoques, ce qui ne trompe presque jamais ; mais nous comprenons par là tout ce qui peut faire changer de sens à un mot, surtout lorsque les hommes ne s’aperçoivent pas aisément de ce changement, parce que diverses choses étant signifiées par le même son, ils les prennent pour la même chose[2]. Sur quoi on peut voir ce qui a été dit vers la fin de la première partie, où l’on a aussi parlé du remède qu’on doit apporter à la confusion des mots ambigus, en les définissant si nettement qu’on n’y puisse être trompé.

Aussi, je me contenterai d’apporter quelques exemples de cette ambiguïté, qui trompe quelquefois d’habiles gens. Telle est celle qui se trouve dans les mots qui signifient quelque tout, qui peut se prendre ou collectivement pour toutes ses parties ensemble, ou distributivement pour chacune de ses parties. C’est par là qu’on doit résoudre ce sophisme des stoïciens, qui concluaient que le monde était un animal doué de raison, « parce que ce qui a l’usage de la raison est meilleur que ce qui ne l’a point. Or, il n’y a rien, disaient-ils, qui soit meilleur que le monde : donc le monde a l’usage de la raison[3]. » La mineure de cet argument est fausse, parce qu’ils attribuaient au monde ce qui ne convient qu’à Dieu, qui est d’être tel qu’on ne puisse rien concevoir de meilleur et de plus parfait. Mais, en se bornant dans les créatu-

  1. Voir les règles du syllogisme, ch. x.
  2. Ajoutons qu’en réalité le sens d’un mot est rarement absolu, fixé, déterminé de tout point. Les mots n’expriment jamais qu’une partie des idées.
  3. En d’autres termes les stoïciens étaient panthéistes : ils ne séparaient pas Dieu du monde, ils considéraient Dieu comme l’âme du monde, principe de vie et de raison. Leur doctrine ne saurait se juger en quelques lignes, comme Arnauld semble le croire.