Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

res, quoique l’on puisse dire qu’il n’y a rien de meilleur que le monde, en le prenant collectivement pour l’universalité de tous les êtres que Dieu a créés, tout ce qu’on en peut conclure au plus, est que le monde a l’usage de la raison, selon quelques-unes de ses parties, telles que sont les anges et les hommes, et non pas que le tout ensemble soit un animal qui ait l’usage de la raison.

Ce serait de même mal raisonner que de dire : l’homme pense ; or, l’homme est composé de corps et d’âme : donc le corps et l’âme pensent ; car il suffit, afin que l’on puisse attribuer la pensée à l’homme entier qu’il pense selon une des parties : d’où il ne s’ensuit nullement qu’il pense selon l’autre.

IX. Tirer une conclusion générale d’une induction défectueuse.

On appelle induction, lorsque la recherche de plusieurs choses particulières nous mène à la connaissance d’une vérité générale. Ainsi, lorsqu’on a éprouvé sur beaucoup de mers que l’eau en est salée, et sur beaucoup de rivières que l’eau en est douce, on conclut généralement que l’eau de la mer est salée, et celle des rivières douce[1]. Les diverses épreuves qu’on a faites que l’or ne diminue point au feu a fait juger que cela est vrai de tout or : et comme on n’a point trouvé de peuple qui ne parle, on croit pour très-certain que tous les hommes parlent, c’est-à-dire se servent des sons pour signifier leurs pensées.

C’est même par là que toutes nos connaissances commencent, parce que les choses singulières se présentent à nous avant les universelles, quoique ensuite les universelles servent à connaître les singulières[2].

Mais il est vrai néanmoins que l’induction seule n’est jamais un moyen certain d’acquérir une science parfaite,

  1. Cette définition, quoique un peu vague, convient assez à l’induction proprement dite, telle que Bacon l’a étudiée.
  2. C’est la théorie d’Aristote.