Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/297

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et d’autres qui lassent et étourdissent tout le monde de préfaces et de digressions inutiles. Il y en a enfin qui s’arment d’injures, et qui feront une querelle d’Allemand pour se défaire de la conférence d’un esprit qui presse le leur[1]. » Ce sont les vices ordinaires de nos disputes, qui sont assez ingénieusement représentées par cet écrivain qui, n’ayant jamais connu les véritables grandeurs de l’homme, en a assez bien connu les défauts ; et l’on peut juger par là combien ces sortes de conférences sont capables de dérégler l’esprit, à moins que l’on n’ait un extrême soin, non-seulement de ne pas tomber soi-même le premier dans ces défauts, mais aussi de ne pas suivre ceux qui y tombent, et de se régler tellement, qu’on puisse les voir égarer sans s’égarer soi-même, et sans s’écarter de la fin que l’on doit se proposer, qui est l’éclaircissement de la vérité qu’on examine.

VIII. Il se trouve des personnes, principalement parmi ceux qui hantent la cour, qui, reconnaissant assez combien ces humeurs contredisantes sont incommodes et désagréables, prennent une route toute contraire, qui est de ne rien contredire, mais de louer et d’approuver tout indifféremment ; et c’est ce qu’on appelle complaisance[2], qui est une humeur plus commode pour la fortune, mais aussi désavantageuse pour le jugement : car, comme les contredisants prennent pour vrai le contraire de ce qu’on leur dit, les complaisants semblent prendre pour vrai tout ce qu’on leur dit ; et cette accoutumance corrompt premièrement leurs discours, et ensuite leur esprit.

C’est par ce moyen qu’on a rendu les louanges si communes et qu’on les donne si indifféremment à tout le monde, qu’on ne sait plus qu’en conclure. Il n’y a point dans la gazette de prédicateur qui ne soit des plus éloquents, et qui ne ravisse ses auditeurs par la profondeur de sa science ; tous ceux qui meurent sont illustres en piété ; les plus petits auteurs pourraient faire des livres

  1. Voir les Essais, liv. III, ch. viii.
  2. On se rappelle le Philinte de Molière.