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ANALYSE DE LA LOGIQUE DE PORT-ROYAL


L’Art de penser, plus connu sous le nom de Logique de Port-Royal, a pour auteurs Arnauld et Nicole. D’après Racine fils, Arnauld a travaillé aux trois premières parties ; la quatrième tout entière est de lui ; Nicole a fait les deux discours préliminaires, outre le chapitre bien connu sur les sophismes.

L’ouvrage, remarquable surtout par le bon sens et par la clarté de la forme, n’offre pas une grande originalité pour le fond. Les règles du raisonnement sont empruntées à Aristote ; les règles de la méthode à Descartes[1] et à Pascal[2]. « On est obligé, dit Arnauld, de reconnaître que ces réflexions, qu’on appelle nouvelles parce qu’elles ne se trouvent pas dans les Logiques communes, ne sont pas toutes de celui qui a travaillé à cet ouvrage et qu’il en a emprunté quelques-unes des livres d’un célèbre philosophe de ce siècle, qui a autant de netteté d’esprit qu’on trouve de confusion dans les autres[3]. » Les auteurs se sont très-souvent bornés à vulgariser les idées de Descartes[4]. Ils ne perdent aucune occasion d’opposer les doctrines de Descartes à celles d’Aristote que, du reste, ils ne comprennent guère et dont la profondeur métaphysique leur échappe. L’excuse de cette polémique est dans la nécessité où l’on était encore à cette époque de réagir contre la domination d’Aristote et de ses sectateurs : « Le monde, dit Arnauld, ne peut durer plus longtemps dans cette contrainte, et se remet insensiblement en possession de la liberté naturelle et raisonnable, qui consiste à approuver ce qu’on juge vrai et à rejeter ce qu’on juge faux. »

Dans l’avis de la première édition, qui parut en 1662, Arnauld raconte à quelle occasion le livre fut composé. « La naissance de ce petit ouvrage, dit-il, est due entièrement au hasard. » Une personne de condition causait de la Logique avec un jeune seigneur d’une intelligence très-développée, Charles Honoré d’Albert, duc de Chevreuse, fils du duc de Luynes qui traduisit en français les Méditations de Descartes. Arnauld, présent à la conversation, dit en riant « que, si Monseigneur de Chevreuse voulait en prendre la peine, on s’engagerait

  1. Clerselier avait communiqué à Arnauld le manuscrit de Descartes intitulé Regulæ ad directionem ingenii, œuvre de la plus haute valeur, très-supérieure à l’Art de penser et dont Arnauld n’a vraiment pas su tirer tout le parti possible.
  2. Arnauld, dit Nicole, avait entre les mains les manuscrits des opuscules de Pascal sur l’Art de penser et l’Esprit géométrique.
  3. Il y a beaucoup d’emprunts à la Logique de Clauberg, disciple de Descartes, qu’Arnauld cite avec éloge. Les auteurs connaissaient aussi les livres de Bacon, dont on regrette qu’ils ne se soient pas inspirés davantage, principalement pour la théorie de l’induction, si insuffisante dans la Logique de Port-Royal.
  4. C’est surtout par l’Art de penser que le cartésianisme pénétra dans l’enseignement. À partir de la fin du dix-septième siècle, nous voyons la plupart des professeurs de l’Université de Paris et particulièrement le célèbre Pourchot, suivre fidèlement le cartésianisme, et le reproduire presque tout entier dans la partie logique de leurs Cursus philosophici ou Institutiones philosophicæ.