Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/310

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accident, ne manquent jamais de trouver l’aspect des astres qui l’a produit, on ne manque aussi jamais de trouver après les disgrâces et les malheurs, que ceux qui y sont tombés les ont mérités par quelque imprudence. Il n’a pas réussi, il a donc tort. C’est ainsi que l’on raisonne dans le monde, et qu’on y a toujours raisonné, parce qu’il y a toujours eu peu d’équité dans les jugements des hommes, et que, ne connaissant par les vraies causes des choses, ils en substituent selon les événements, en louant ceux qui réussissent et en blâmant ceux qui ne réussissent pas.

VI. Mais il n’y a point de faux raisonnements plus fréquents parmi les hommes que ceux où l’on tombe, ou en jugeant témérairement de la vérité des choses par une autorité qui n’est pas suffisante pour nous en assurer, ou en décidant le fond par la manière. Nous appellerons l’un le sophisme de l’autorité[1] et l’autre le sophisme de la manière.

Pour comprendre combien ils sont ordinaires, il ne faut que considérer que la plupart des hommes ne se déterminent point à croire un sentiment plutôt qu’un autre par des raisons solides et essentielles qui en feraient connaître la vérité, mais par certaines marques extérieures et étrangères qui sont plus convenables, ou qu’ils jugent plus convenables à la vérité qu’à la fausseté.

La raison en est que la vérité intérieure des choses est souvent assez cachée ; que les esprits des hommes sont ordinairement faibles et obscurs, pleins de nuages et de faux jours, au lieu que ces marques extérieures sont claires et sensibles : de sorte que, comme les hommes se portent aisément à ce qui leur est plus facile, ils se rangent presque toujours du côté où ils voient ces marques extérieures qu’ils discernent facilement.

Elles peuvent se réduire à deux principales : l’autorité de celui qui propose la chose, et la manière dont elle

  1. Comparez les pages qui suivent avec celles de Pascal sur l’autorité en matière de philosophie et avec les chapitres analogues de Malebranche dans la Recherche de la vérité.