Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/312

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elles servent souvent à engager plusieurs personnes à des jugements contraires à la vérité.

On n’entreprend pas ici de donner des règles et des bornes précises de la déférence qu’on doit à l’autorité dans les choses humaines, mais de marquer seulement quelques fautes grossières que l’on commet en cette matière.

Souvent on ne regarde que le nombre des témoins, sans considérer si ce nombre fait qu’il soit plus probable qu’on ait rencontré la vérité, ce qui n’est pas raisonnable. Car comme un auteur de ce temps[1] a judicieusement remarqué, dans les choses difficiles et qu’il faut que chacun trouve par soi-même, il est plus vraisemblable qu’un seul trouve la vérité que non pas qu’elle soit découverte par plusieurs. Ainsi ce n’est pas une bonne conséquence : cette opinion est suivie du plus grand nombre des philosophes, donc elle est la plus vraie.

Souvent on se persuade par certaines qualités qui n’ont aucune liaison avec la vérité des choses dont il s’agit. Ainsi, il y a quantité de gens qui croient sans autre examen ceux qui sont les plus âgés, et qui ont plus d’expérience dans les choses mêmes qui ne dépendent ni de l’âge ni de l’expérience, mais de la lumière de l’esprit.

La piété, la sagesse, la modération, sont sans doute les qualités les plus estimables qui soient au monde, et elles doivent donner beaucoup d’autorité aux personnes qui les possèdent, dans les choses qui dépendent de la piété, de la sincérité, et même d’une lumière de Dieu, qu’il est plus probable que Dieu communique davantage à ceux qui le servent plus purement ; mais il y a une infinité de choses qui ne dépendent que d’une lumière humaine, d’une expérience humaine, d’une pénétration humaine, et dans ces choses ceux qui ont l’avantage de l’esprit et de l’étude méritent plus de créance que les

  1. Descartes, Discours de la méthode, I.