Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit qu’ils le sont par leur condition et par leur fortune.

La sottise de l’esprit humain est telle, qu’il n’y a rien qui ne lui serve à grandir l’idée qu’il a de lui-même. Une belle maison, un habit magnifique, une grande barbe, font qu’il s’en croit plus habile, et, si l’on y prend garde, ils s’estiment davantage à cheval ou en carrosse qu’à pied. Il est facile de persuader à tout le monde qu’il n’y a rien de plus ridicule que ces jugements ; mais il est très-difficile de se garantir entièrement de l’impression secrète que toutes ces choses extérieures font dans l’esprit. Tout ce qu’on peut faire est de s’accoutumer, autant qu’on le peut, à ne donner aucune autorité à toutes les qualités qui ne peuvent en rien contribuer à trouver la vérité, et de n’en donner à celles mêmes qui y contribuent qu’autant qu’elles y contribuent effectivement. L’âge, la science, l’étude, l’expérience, l’esprit, la vivacité, la retenue, l’exactitude, le travail, servent pour trouver la vérité des choses cachées, et ainsi ces qualités méritent qu’on y ait égard ; mais il faut pourtant les peser avec soin, et ensuite en faire comparaison avec les raisons contraires, car de chacune de ces choses en particulier on ne conclut rien de certain, puisqu’il y a des opinions très-fausses qui ont été approuvées par des personnes de fort bon esprit et qui avaient une grande partie de ces qualités.

VIII. Il y a encore quelque chose de plus trompeur dans les surprises qui naissent de la lumière, car on est porté naturellement à croire qu’un homme a raison, lorsqu’il parle avec grâce, avec facilité, avec gravité, avec modération et avec douceur, et à croire, au contraire, qu’un homme a tort, lorsqu’il parle désagréablement, ou qu’il fait paraître de l’emportement, de l’aigreur, de la présomption, dans ses actions et dans ses paroles.

Cependant, si l’on ne juge du fond des choses que par ces manières extérieures et sensibles, il est impossible qu’on n’y soit souvent trompé. Car il y a des gens qui débitent gravement et modestement des sottises ; et d’autres, au contraire, qui, étant d’un naturel prompt, ou qui, étant même possédés de quelque passion qui