Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/329

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ties indivisibles, une de ces parties indivisibles ferait la mesure commune de ces deux lignes ; et, par conséquent, il est impossible que ces deux lignes soient composées d’un certain nombre de parties indivisibles.

On démontre encore dans cette science qu’il est impossible qu’un nombre carré soit double d’un autre nombre carré, et que cependant il est très-possible qu’un carré d’étendue soit double d’un autre carré d’étendue ; or, si ces deux carrés d’étendue étaient composés d’un certain nombre de parties finies, le grand carré contiendrait le double des parties du petit ; et tous les deux étant carrés, il y aurait un carré de nombre double d’un autre carré de nombre, ce qui est impossible.

Enfin, il n’y a rien de plus clair que cette raison, que deux néants d’étendue ne peuvent former une étendue, et que toute étendue a des parties ; or, en prenant deux de ces parties qu’on suppose indivisibles, je demande si elles ont de l’étendue ou si elles n’en ont point : si elles en ont, elles sont donc divisibles, et elles ont plusieurs parties ; si elles n’en ont point, ce sont donc deux néants d’étendue ; et ainsi il est impossible qu’elles puissent former une étendue[1].

Il faut renoncer à la certitude humaine, pour douter de la vérité de ces démonstrations ; mais pour aider à concevoir, autant qu’il est possible, cette divisibilité infinie de la matière, j’y joindrai encore une preuve qui fait voir en même temps une division à l’infini et un mouvement qui se ralentit à l’infini sans arriver jamais au repos.

Il est certain que, quand on douterait que l’étendue peut se diviser à l’infini, on ne saurait au moins douter qu’elle ne puisse s’augmenter à l’infini, et qu’à un plan de cent mille lieues on ne puisse en joindre un autre de cent mille lieues, et ainsi à l’infini : or, cette augmentation infinie de l’étendue prouve sa divisibilité à l’infini ; et pour

  1. Arnauld, dans ces pages, confond comme tous les cartésiens l’étendue et la matière. L’étendue est certainement divisible à l’infini ; quant à la matière, c’est une question encore douteuse.