Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/344

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tion de la chose même dont il s’agira, lorsqu’il y aura quelque opération à faire[1].

5e. N’abuser jamais de l’équivoque des termes, en manquant d’y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.

Voilà ce que les géomètres ont jugé nécessaire pour rendre les preuves convaincantes et invincibles : et il faut avouer que l’attention à observer ces règles est suffisante pour éviter de faire de faux raisonnements en traitant les sciences, ce qui sans doute est le principal, tout le reste pouvant se dire utile plutôt que nécessaire[2].


CHAPITRE IV

Explication plus particulière de ces règles, et premièrement de celles qui regardent les définitions.


Quoique nous ayons déjà parlé dans la première partie

  1. Par exemple, la construction d’un triangle, d’un angle, etc.
  2. Arnauld emprunte ces règles au fragment de Pascal sur l’art de persuader. — « Voilà, ajoute Pascal, en quoi consiste cet art de persuader, qui se renferme dans ces deux principes : Définir tous les noms qu’on impose. Prouver tout, en substituant mentalement les définitions à la place des définis.
     » Sur quoi il me semble à propos de prévenir trois objections principales qu’on pourra faire. L’une, que cette méthode n’a rien de nouveau ; l’autre, qu’elle est bien facile à apprendre, sans qu’il soit nécessaire pour cela d’étudier les éléments de géométrie, puisqu’elle consiste en ces deux mots qu’on sait à la première lecture ; et enfin qu’elle est assez inutile, puisque son usage est presque renfermé dans les seules matières géométriques. Il faut donc faire voir qu’il n’y a rien de si inconnu, rien de plus difficile à pratiquer, et rien de plus utile et de plus universel.
     » Pour la première objection, qui est que ces règles sont communes dans le monde, qu’il faut tout définir et tout prouver ; et que les logiciens mêmes les ont mises entre les préceptes de leur art, je voudrais que la chose fût véritable, et qu’elle fût si connue, que je n’eusse pas eu la peine de rechercher avec tant de soins la source de tous les défauts des raisonnements, qui sont véritablement communs. Mais cela l’est si peu, que si l’on en excepte les seuls géomètres, qui sont en si petit nombre qu’ils sont uniques en tout un peuple et dans un long temps, on n’en voit aucun qui le sache aussi. Il sera aisé de le faire entendre à ceux qui auront parfaitement compris le peu que j’en ai dit ; mais s’ils ne l’ont pas conçu parfaitement, j’avoue qu’ils n’y auront rien à y apprendre. Mais s’ils sont entrés dans l’esprit de ces règles, et qu’elles aient assez fait d’impression pour s’y enraciner et s’y affermir, ils sentiront combien il y a de différence entre ce qui est dit ici et ce que quelques logiciens en ont peut-être écrit d’approchant au hasard, en quelques lieux de leurs ouvrages. »