Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/345

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de l’utilité des définitions des termes, néanmoins cela est si important que l’on ne peut trop l’avoir dans l’esprit ; puisque par là on démêle une infinité de disputes qui n’ont souvent pour sujet que l’ambiguïté des termes, que l’un prend en un sens et l’autre en un autre : de sorte que de très-grandes contestations cesseraient en un moment, si l’un ou l’autre des disputants avait soin de marquer nettement et en peu de paroles ce qu’il entend par les termes qui sont le sujet de la dispute.

Cicéron a remarqué que la plupart des disputes entre les philosophes anciens, et surtout entre les stoïciens et les académiciens, n’étaient fondées que sur cette ambiguïté de paroles, les stoïciens ayant pris plaisir pour se relever, de prendre les termes de la morale en d’autres sens que les autres, ce qui faisait croire que leur morale était bien plus sévère et plus parfaite, quoique en effet cette prétendue perfection ne fût que dans les mots, et non dans les choses[1] : le sage des stoïciens ne prenant pas moins tous les plaisirs de la vie que les philosophes des autres sectes qui paraissaient moins rigoureux, et n’évitant pas avec moins de soin les maux et les incommodités, avec cette seule différence, qu’au lieu que les autres philosophes se servaient des mots ordinaires de biens et de maux, les stoïciens, en jouissant des plaisirs, ne les appelaient pas des biens[2] mais des choses préférables, προηγμένα, et en fuyant les maux, ne les appelaient pas des maux, mais seulement des choses rejetables, ἀποπροηγμένα[3].

C’est donc un avis très-utile de retrancher de toutes les disputes tout ce qui n’est fondé que sur l’équivoque des mots, en les définissant par d’autres termes si clairs qu’on ne puisse plus s’y méprendre.

À cela sert la première des règles que nous venons de

  1. Cette appréciation de la différence qui existe entre les stoïciens et les autres sectes, est vraiment puérile. Il s’agissait de choses, et de choses de première importance, non de mots. Voir le De finibus.
  2. C’est que les stoïciens réservaient le nom de bien au bien moral, ce dont Kant les loue avec raison dans sa Métaphysique des mœurs.
  3. Voir Cicéron : de Finibus bonorum et malorum, iii, 14 et 15.