Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/351

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sible que l’unité n’était pas nombre ; mais que comme cette définition d’Euclide était arbitraire, et qu’il était permis d’en donner une autre au nom de nombre, on pouvait lui en donner une comme est celle que Stevin apporte, selon laquelle l’unité est nombre. Par là la première question est vidée, et on ne peut rien dire, outre cela, contre ceux à qui il ne plaît pas d’appeler l’unité nombre, sans une manifeste pétition de principe, comme on peut voir en examinant les prétendues démonstrations de Stevin. La première est :

La partie est de même nature que le tout ;

Unité est partie d’une multitude d’unités ;

Donc l’unité est de même nature qu’une multitude d’unités, et par conséquent nombre.

Cet argument ne vaut rien du tout ; car, quand la partie serait toujours de la même nature que le tout, il ne s’ensuivrait pas qu’elle dût toujours avoir le même nom que le tout ; et, au contraire, il arrive très-souvent qu’elle n’a point le même nom. Un soldat est une partie de l’armée, et n’est point une armée ; une chambre est une partie d’une maison, et non point une maison ; un demi-cercle n’est point un cercle ; la partie d’un carré n’est point un carré. Cet argument prouve donc au plus que l’unité étant partie de la multitude des unités a quelque chose de commun avec toute multitude d’unités, selon quoi on pourra dire qu’ils sont de même nature ; mais cela ne prouve pas qu’on soit obligé de donner le même nom de nombre à l’unité et à la multitude d’unités, puisqu’on peut, si l’on veut, garder le nom de nombre pour la multitude d’unités, et ne donner à l’unité que son nom même d’unité ou de partie du nombre.

La seconde raison de Stevin ne vaut pas mieux :

Si du nombre donné l’on n’ôte aucun nombre, le nombre donné demeure :

Donc si l’unité n’était pas nombre, en ôtant un de trois, le nombre donné demeurerait ; ce qui est absurde.

Mais cette majeure est ridicule, et suppose ce qui est en question ; car Euclide niera que le nombre donné demeure, lorsqu’on n’en ôte aucun nombre, puisqu’il suffit, pour ne pas demeurer tel qu’il était, qu’on en ôte ou un nombre, ou une partie du nombre, telle qu’est l’unité : et, si cet argument était bon, on prouverait de la même manière qu’en ôtant un demi-cercle d’un cercle donné, le cercle donné doit demeurer, parce qu’on n’en a ôté aucun cercle.

Ainsi tous les arguments de Stevin prouvent au plus qu’on peut définir le nombre en sorte que le mot de nombre convienne à l’unité, parce que l’unité et la multitude d’unités ont assez de convenance pour être signifiées par un même nom ; mais ils ne prouvent nullement qu’on ne puisse pas aussi définir le nombre en restreignant ce mot à la multitude d’unités, afin de ne pas être obligé d’excepter l’unité toutes les fois qu’on explique des propriétés qui conviennent à tous les nombres, hormis à l’unité.

Mais la seconde question, qui est de savoir si l’unité est aux autres nombres comme le point est à la ligne, n’est point de même nature que