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la première, et n’est point une dispute de mot, mais de chose : car il est absolument faux que l’unité soit au nombre comme le point est à la ligne, puisque l’unité ajoutée au nombre le fait plus grand, au lieu que le point ajouté à la ligne ne la fait point plus grande. L’unité est partie du nombre, et le point n’est pas partie de la ligne. L’unité ôtée du nombre, le nombre donné ne demeure point ; et le point ôté de la ligne, la ligne donnée demeure.

Le même Stevin est plein de semblables disputes sur les définitions des mots, comme quand il s’échauffe pour prouver que le nombre n’est point une quantité discrète ; que la proportion des nombres est toujours arithmétique, et non géométrique ; que toute racine de quelque nombre que ce soit est un nombre : ce qui fait voir qu’il n’a point compris proprement ce que c’était qu’une définition des mots, et qu’il a pris les définitions de mot, qui ne peuvent être contestées, pour les définitions des choses, que l’on peut souvent contester avec raison.


CHAPITRE VI

Des règles qui regardent les axiomes, c’est-à-dire les propositions claires et évidentes par elles-mêmes.


Tout le monde demeure d’accord qu’il y a des propositions si claires et si évidentes d’elles-mêmes, qu’elles n’ont pas besoin d’être démontrées[1], et que toutes celles qu’on ne démontre point doivent être telles pour être principes d’une véritable démonstration[2] : car si elles sont tant soit peu incertaines, il est clair qu’elles ne peuvent être le fondement d’une conclusion tout à fait certaine.

Mais plusieurs ne comprennent pas assez en quoi consiste cette clarté et cette évidence d’une proposition ; car, premièrement, il ne faut pas s’imaginer qu’une proposition ne soit claire et certaine que lorsque personne ne la contredit, et qu’elle doive passer pour douteuse, ou qu’au moins on soit obligé de la prouver, lorsqu’il se

  1. Leibnitz remarque avec raison que ces propositions sont en très-petit nombre et qu’il faut s’efforcer de démontrer le plus de choses possible.
  2. Les vrais principes de la démonstration ne sont pas des axiomes (vérités universelles qui ne renferment aucune conséquence particulière), mais des définitions générales.