Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/354

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plus grand que sa partie, n’a trouvé de créance dans notre esprit que parce que, dès notre enfance, nous avons observé en particulier, et que tout l’homme est plus grand que sa tête, et toute une maison qu’une chambre, et toute une forêt qu’un arbre, et tout le ciel qu’une étoile. »

Cette imagination est aussi fausse que celle que nous avons réfutée dans la première partie, que toutes nos idées viennent de nos sens : car si nous n’étions assurés de cette vérité, le tout est plus grand que sa partie, que par les diverses observations que nous en avons faites depuis notre enfance, nous n’en serions que probablement assurés[1] ; puisque l’induction n’est un moyen certain de connaître une chose que quand nous sommes assurés que l’induction est entière[2], n’y ayant rien de plus ordinaire que de découvrir la fausseté de ce que nous avions cru vrai sur des inductions qui nous paraissaient si générales, qu’on ne s’imaginait point pouvoir y trouver d’exception.

Ainsi, il n’y a pas longtemps qu’on croyait indubitable que l’eau contenue dans un vaisseau courbé, dont un côté était beaucoup plus large que l’autre, se tenait toujours au niveau, n’étant pas plus haute dans le petit côté

  1. « Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c’est-à-dire des vérités particulières ou individuelles. Or, tous les exemples qui confirment une vérité générale, de quelque nombre qu’ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est arrivé arrivera toujours de même. Par exemple, les Grecs et les Romains et tous les autres peuples ont toujours remarqué qu’avant le détour de vingt-quatre heures le jour se change en nuit et la nuit en jour. Mais on se serait trompé si l’on avait cru que la même règle s’observe partout, puisqu’on a vu le contraire dans le séjour de Nova-Zembla. Et celui-là se tromperait encore qui croirait que c’est au moins, dans nos climats, une vérité nécessaire et éternelle, puisqu’on doit juger que la terre et le soleil même n’existent pas nécessairement, et qu’il y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus, avec tout son système, au moins en sa forme présente. D’où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les mathématiques pures, et particulièrement dans l’arithmétique et la géométrie, doivent avoir des principes dont la preuve ne dépend point des exemples, ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans le sens on ne se serait jamais avisé d’y penser. » Leibnitz. Nouveaux Essais sur l’entendement, Avant-propos.
  2. Proposition justement contestée de nos jours : Arnauld ne connaissait pas la vraie théorie de l’induction.