Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/353

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trouve quelqu’un qui la nie. Si cela était, il n’y aurait rien de certain ni de clair, puisqu’il s’est trouvé des philosophes qui ont fait profession de douter généralement de tout, et qu’il y en a même qui ont prétendu qu’il n’y avait aucune proposition qui fût plus vraisemblable que sa contraire. Ce n’est donc point par les contestations des hommes qu’on doit juger de la certitude ni de la clarté, car il n’y a rien qu’on ne puisse contester, surtout de parole ; mais il faut tenir pour clair ce qui paraît tel à tous ceux qui veulent prendre la peine de considérer les choses avec attention, et qui sont sincères à dire ce qu’ils en pensent intérieurement. C’est pourquoi il y a une parole de très-grand sens dans Aristote, qui est que la démonstration ne regarde proprement que le discours intérieur, et non pas le discours extérieur[1], parce qu’il n’y a rien de si bien démontré qui ne puisse être nié par un homme opiniâtre, qui s’engage à contester de paroles les choses mêmes dont il est intérieurement persuadé : ce qui est une très-mauvaise disposition, et très-indigne d’un esprit bien fait ; quoiqu’il soit vrai que cette humeur se prend souvent dans les écoles de philosophie, par la coutume qu’on y a introduite de disputer de toutes choses et de mettre son honneur à ne se rendre jamais, celui-là étant jugé avoir le plus d’esprit qui est le plus prompt à trouver des défaites pour s’échapper ; au lieu que le caractère d’un honnête homme est de rendre les armes à la vérité, aussitôt qu’il l’aperçoit, et de l’aimer dans la bouche même de son adversaire.

Secondement, les mêmes philosophes, qui tiennent que toutes nos idées viennent de nos sens, soutiennent aussi que toute la certitude et toute l’évidence des propositions vient, ou immédiatement ou médiatement des sens. « Car, disent-ils, cet axiome même qui passe pour le plus clair et le plus évident que l’on puisse désirer : Le tout est

  1. « Ce n’est pas à la parole extérieure, c’est à la parole intérieure que s’adresse la démonstration tout aussi bien que le syllogisme. Contre la parole extérieure on peut bien trouver des objections ; mais on ne le peut pas toujours contre la parole du dedans. » Aristote, Derniers analyt., 10.