Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/356

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tincte d’une chose, peut s’affirmer avec vérité de cette chose[1].

Ainsi, parce qu’être animal est renfermé dans l’idée de l’homme, je puis affirmer de l’homme qu’il est animal : parce qu’avoir tous ses diamètres égaux est renfermé dans l’idée d’un cercle, je puis affirmer de tout cercle que tous ses diamètres sont égaux ; parce qu’avoir tous ses angles égaux à deux droits est renfermé dans l’idée d’un triangle, je dois l’affirmer de tout triangle.

Et l’on ne peut contester ce principe sans détruire toute l’évidence de la connaissance humaine, et établir un pyrrhonisme ridicule ; car nous ne pouvons juger des choses que par les idées que nous en avons, puisque nous n’avons aucun moyen de les concevoir qu’autant qu’elles sont dans notre esprit, et qu’elles n’y sont que par leurs idées. Or, si les jugements que nous formons en considérant ces idées ne regardaient pas les choses en elles-mêmes, mais seulement nos pensées, c’est-à-dire si de ce que je vois clairement qu’avoir trois angles égaux à deux droits est renfermé dans l’idée d’un triangle, je n’avais pas droit de conclure que, dans la vérité, tout triangle a trois angles égaux à deux droits, mais seulement que je le pense ainsi, il est visible que nous n’aurions aucune connaissance des choses, mais seulement de nos pensées : et par conséquent, nous ne saurions rien des choses que nous nous persuadons savoir le plus certainement ; mais nous saurions seulement que nous les pensons être de telle sorte, ce qui détruirait manifestement toutes les sciences[2].

Et il ne faut pas craindre qu’il y ait des hommes qui demeurent sérieusement d’accord de cette conséquence, que nous ne savons d’aucune chose si elle est vraie ou fausse en elle-même ; car il y en a de si simples et de si évidentes, comme : Je pense : donc je suis ; Le tout est

  1. C’est le principe cartésien. Lorsque Descartes a voulu réduire en forme tous les arguments dont il s’est servi dans ses Méditations pour prouver l’existence de l’âme et de Dieu, il a commencé par poser ce principe, dont l’application la plus remarquable et aussi la plus contestable est l’argument ontologique.
  2. Arnauld vient d’exposer en termes précis, mais non de détruire le fondement du scepticisme.