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guments, ni qu’ils pensent à les conformer aux règles de la logique, sans qu’ils y manquent néanmoins, parce que cela se fait naturellement et n’a pas besoin d’étude[1].

Il y a encore une observation à faire sur les propositions qui ont besoin d’être démontrées. C’est qu’on ne doit pas mettre de ce nombre celles qui peuvent l’être par l’application de la règle de l’évidence à chaque proposition évidente ; car si cela était, il n’y aurait presque point d’axiome qui n’eût besoin d’être démontré, puisqu’ils peuvent l’être presque tous par celui que nous avons dit pouvoir être pris pour le fondement de toute évidence : Tout ce que l’on voit clairement être contenu dans une idée claire et distincte peut en être affirmé avec vérité. On peut dire, par exemple :

Tout ce qu’on voit clairement être contenu dans une idée claire et distincte peut en être affirmé avec vérité ;

Or, on voit clairement que l’idée claire et distincte qu’on a du tout enferme d’être plus grand que sa partie :

Donc on peut affirmer avec vérité que le tout est plus grand que sa partie.

Mais, quoique cette preuve soit très-bonne, elle n’est pas néanmoins nécessaire, parce que notre esprit supplée cette majeure, sans avoir besoin d’y faire une attention particulière, et ainsi voit clairement et évidemment que le tout est plus grand que sa partie, sans qu’il ait besoin de faire réflexion d’où lui vient cette évidence : car ce sont deux choses différentes, de connaître évidemment une chose et de savoir d’où nous vient cette évidence.


CHAPITRE IX

De quelques défauts qui se rencontrent d’ordinaire dans la méthode des géomètres.


Nous avons vu ce que la méthode des géomètres a de bon, que nous avons réduit à cinq règles qu’on ne peut trop avoir dans l’esprit ; et il faut avouer qu’il n’y a rien de plus admirable que d’avoir découvert tant de choses si cachées, et les avoir démontrées par des raisons si fermes et si invincibles, en se servant de si peu de règles : de sorte qu’entre tous les philosophes ils ont seuls cet avantage d’avoir banni de leur école et de leurs livres la contestation et la dispute.

Néanmoins, si l’on veut juger des choses sans préoccupation, comme

  1. « Les sophismes les plus subtils, dit Descartes, ne trompent que les sophistes, et presque jamais ceux qui se servent de leur seule raison. » Descartes, Règles, VI.