Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/375

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et que nous n’y voyons plus que les espèces et les apparences du pain qui demeurent, quoique la substance n’y soit plus.

Notre raison, de même, nous fait voir qu’un seul corps n’est pas en même temps en divers lieux ni deux corps en un même lieu ; mais cela doit s’entendre de la condition naturelle des corps, parce que ce serait un défaut de raison de s’imaginer que, notre esprit étant fini, il pût comprendre jusqu’où peut aller la puissance de Dieu qui est infinie ; et ainsi lorsque les hérétiques, pour détruire les mystères de la foi, comme la Trinité, l’Incarnation et l’Eucharistie, opposent ces prétendues impossibilités qu’ils tirent de la raison, ils s’éloignent en cela même visiblement de la raison, en prétendant pouvoir comprendre par leur esprit l’étendue infinie de la puissance de Dieu[1]. C’est pourquoi il suffit de répondre à toutes ces objections ce que saint Augustin dit sur le sujet même de la pénétration des corps : Sed nova sunt, sed insolita sunt, sed contra naturæ cursum notissimum sunt, quia magna, quia mira, quia divina, et eo magis vera, certa, firma.


CHAPITRE XIII

Quelques règles pour bien conduire sa raison dans la croyance des événements qui dépendent de la foi humaine.


L’usage le plus ordinaire du bon sens et de cette puissance de notre âme qui nous fait discerner le vrai d’avec le faux n’est pas dans les sciences spéculatives auxquelles il y a si peu de personnes qui soient obligées de s’appliquer[2] ; mais il n’y a guère d’occasion où

  1. L’objection peut se retourner : ceux qui affirment un mystère se prétendent, encore plus que ceux qui le nient, dans les secrets de Dieu.
  2. Arnauld ne se doute point du caractère pratique des plus hautes spéculations scientifiques.