Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/376

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on l’emploie plus souvent et où elle soit plus nécessaire, que dans le jugement que l’on porte de ce qui se passe tous les jours parmi les hommes.

Je ne parle point du jugement que l’on fait si une action est bonne ou mauvaise, digne de louange ou de blâme, parce que c’est à la morale à le régler, mais seulement de celui que l’on porte touchant la vérité ou la fausseté des événements humains ; ce qui seul peut regarder la logique soit qu’on les considère comme passés, comme lorsqu’il ne s’agit que de savoir si on doit les croire, ou ne pas les croire ; ou qu’on les considère dans le temps à venir comme lorsqu’on appréhende qu’ils n’arrivent ou qu’on espère qu’ils arriveront : ce qui règle nos craintes et nos espérances.

Il est certain qu’on peut faire quelques réflexions sur ce sujet, qui ne seront peut-être pas inutiles, et qui pourront au moins servir à éviter des fautes où plusieurs personnes tombent pour n’avoir pas assez consulté les règles de la raison.

La première réflexion est qu’il faut mettre une extrême différence entre deux sortes de vérités : les unes qui regardent seulement la nature des choses et leur essence immuable, indépendamment de leur existence ; et les autres qui regardent les choses existantes, et surtout les événements humains et contingents, qui peuvent être et n’être pas quand il s’agit de l’avenir, et qui pouvaient n’avoir pas été quand il s’agit du passé. J’entends tout ceci selon leurs causes prochaines, en faisant abstraction de leur ordre immuable dans la providence de Dieu ; parce que, d’une part, il n’empêche pas la contingence, et que de l’autre, ne nous étant pas connu, il ne contribue en rien à nous faire croire les choses.

Dans la première sorte de vérités, comme tout y est nécessaire, rien n’est vrai qu’il ne soit universellement vrai ; et ainsi nous devons conclure qu’une chose est fausse, si elle est fausse en un seul cas.

Mais si l’on pense se servir des mêmes règles dans la croyance des événements humains, on n’en jugera jamais