Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/381

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qu’on en a souvent raconté qui ne se sont pas trouvés véritables, et qu’il n’y a pas plus de sujet de croire les uns que les autres.

La disposition des premiers est bien meilleure que celle des derniers ; mais il est vrai néanmoins que les uns et les autres raisonnent également mal.

Ils se jettent de part et d’autre sur les lieux communs. Les premiers en font sur la puissance et sur la bonté de Dieu, sur les miracles certains qu’ils apportent pour preuve de ceux dont on doute, et sur l’aveuglement des libertins, qui ne veulent croire que ce qui est proportionné à leur raison. Tout cela est fort bon en soi, mais très-faible pour nous persuader d’un miracle en particulier, puisque Dieu ne fait pas tout ce qu’il peut faire ; que ce n’est pas un argument qu’un miracle soit arrivé, de ce qu’il en est arrivé de semblables en d’autres occasions ; et qu’on peut être fort bien disposé à croire ce qui est au-dessus de la raison, sans être obligé de croire tout ce qu’il plaît aux hommes de nous raconter comme étant au-dessus de la raison.

Les derniers font des lieux communs d’une autre sorte : « La vérité (dit l’un d’eux) et le mensonge ont leurs visages conformes, le port, le goût et les allures pareilles ; nous les regardons de même œil. J’ai vu la naissance de plusieurs miracles de mon temps. Encore qu’ils s’étouffent en naissant, nous ne laissons pas de prévoir le train qu’ils eussent pris, s’ils eussent vécu leur âge : car il n’est que de trouver le bout du fil, on dévide tant qu’on veut, et il y a plus loin de rien à la plus petite chose du monde qu’il n’y a de celle-là jusqu’à la plus grande. Or, les premiers qui sont abreuvés de ce commencement d’étrangeté, venant à semer leur histoire, sentent, par les oppositions qu’on leur fait, où la loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroit de quelque pièce fausse. L’erreur particulière fait premièrement l’erreur publique, et à son tour, après, l’erreur publique fait l’erreur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment, s’étoffant et se formant de main en main, de manière que le plus éloigné témoin en est mieux instruit que le plus voisin, et le dernier informé mieux persuadé que le premier. »

Ce discours est ingénieux, et peut être utile pour ne pas se laisser emporter à toutes sortes de bruits : mais il y aurait de l’extravagance d’en conclure généralement qu’on doit tenir pour suspect tout ce qui se dit des miracles, car il est certain que cela ne regarde au plus que ce qu’on ne sait que par des bruits communs, sans remonter jusqu’à l’origine ; et il faut avouer qu’il n’y a pas grand sujet de s’assurer de ce qu’on ne saurait que de cette sorte.

Mais qui ne voit qu’on peut faire aussi un lieu commun opposé à celui-là, qui sera pour le moins aussi bien fondé ? Car, comme il y a quelques miracles qui se trouveraient peu assurés si l’on remontait jusqu’à la source, il y en a aussi qui s’étouffent dans la mémoire des hommes, ou qui trouvent peu de croyance dans leur esprit, parce qu’ils ne veulent pas prendre la peine de s’en informer. Notre esprit n’est pas sujet à une seule espèce de maladie : il y en a de différentes et de toutes contraires. Il y a une sotte simplicité qui croit les choses les