Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/39

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auteur en lui disant des injures, déchirer outrageusement ceux qui ne sont pas de notre sentiment sur l’intelligence d’un passage de Suétone[1] et sur l’étymologie d’un mot, comme s’il s’y agissait de la religion et de l’État ; vouloir faire soulever tout le monde contre un homme qui n’estime pas assez Cicéron, comme contre un perturbateur du repos public, ainsi que Jules Scaliger[2] a tâché de faire contre Érasme[3] ; s’intéresser pour la réputation d’un ancien philosophe, comme si l’on était son proche parent, c’est proprement ce qu’on peut appeler pédanterie ; mais il n’y en a point à entendre ni à expliquer des mots artificiels assez ingénieusement inventés, et qui n’ont pour but que le soulagement de la mémoire, pourvu qu’on en use avec les précautions que l’on a marquées.

Il ne reste plus qu’à rendre raison pourquoi on a omis grand nombre de questions qu’on trouve dans les logiques ordinaires, comme celles qu’on traite dans les prolégomènes, l’universel a parte rei, les relations et plusieurs autres semblables ; et sur cela il suffirait presque de répondre qu’elles appartiennent plutôt à la métaphysique qu’à la logique ; mais il est vrai néanmoins que ce n’est pas ce qu’on a principalement considéré : car quand on a jugé qu’une matière pouvait être utile pour former le jugement, on a peu regardé à quelle science elle appartenait. L’arrangement de nos diverses connaissances est libre comme celui des lettres d’une imprimerie ; chacun a droit d’en former différents ordres, selon son besoin, quoique, lorsqu’on en forme, on doive les ranger de la manière la plus naturelle. Il suffit qu’une matière nous soit utile pour nous en servir, et la regarder non comme étrangère, mais comme propre ; c’est pourquoi on trouvera ici quantité de choses de physique et de morale et presque autant de métaphysique qu’il est nécessaire d’en savoir, quoique l’on ne prétende point pour cela avoir emprunté rien de personne. Tout ce qui sert à la logique lui appartient ; et c’est une chose entièrement ridicule que les gênes que se donnent certains auteurs, comme Ramus et les Ramistes[4], quoique d’ailleurs fort habiles gens, qui prennent autant de peines pour borner les juridictions de chaque science, et faire qu’elles n’entreprennent pas les unes sur les autres, que l’on en prend pour marquer les limites des royaumes et régler les ressorts des parlements.

Ce qui a porté aussi à retrancher entièrement ces questions d’école, n’est pas simplement de ce qu’elles sont difficiles et de peu d’usage : on en a traité quelques-unes de cette nature ; mais c’est qu’ayant toutes ces mauvaises qualités, on a cru de plus qu’on pourrait se dispenser d’en parler sans choquer personne, parce qu’elles sont peu estimées.

Car il faut mettre une grande différence entre les questions inutiles

  1. L’auteur des Vies des douze Césars.
  2. Scaliger (Jules-César), grammairien, né à Padoue en 1484, mort en 1558.
  3. Érasme, né en 1467 à Rotterdam, mort en 1536. Ses principaux ouvrages sont l’Éloge de la folie et les Colloques.
  4. Pierre de la Ramée (en latin, Ramus), né en 1515 à Cuth en Vermandois, avait embrassé la Réforme, et fut tué dans la nuit de la Saint-Barthélémy.