Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/414

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méthode indique nettement comment il faut faire usage de l’intuition pour ne pas tomber dans l’erreur contraire à la vérité, et comment doit s’opérer la déduction pour que nous parvenions à la connaissance de toutes choses, elle me semble n’exiger rien de plus pour être complète, puisqu’il n’y a de science possible, comme je l’ai dit plus haut, qu’au moyen de l’intuition et de la déduction. Elle ne s’étend pas néanmoins jusqu’à enseigner comment se font ces opérations, parce qu’elles sont les plus simples et les premières de toutes ; en sorte que si notre intelligence ne pouvait les faire auparavant, elle ne comprendrait aucune des règles de la méthode, quelques faciles qu’elles fussent. Quant aux autres opérations de l’esprit que la dialectique s’efforce de diriger à l’aide de ces deux premières, elles sont inutiles ici, ou plutôt elles doivent être comptées parmi les obstacles, parce qu’on ne peut rien ajouter à la pure lumière de la raison qui ne l’obscurcisse de quelque manière.

Puisque donc l’utilité de cette méthode est si grande que se livrer sans elle à la culture des lettres paraît devoir être plus nuisible que profitable, j’aime à croire que depuis longtemps les esprits supérieurs l’ont entrevue de quelque manière, sans autre guide que leur nature. Car l’esprit humain renferme je ne sais quoi de divin où les premières semences des pensées utiles ont été déposées, en sorte que souvent, si négligées et étouffées qu’elles soient par des études contraires, elles produisent des fruits spontanés. Nous en avons une preuve dans les sciences les plus faciles, l’arithmétique et la géométrie. En effet, on a remarqué que les anciens géomètres se servaient d’une certaine analyse qu’ils étendaient à la solution de tous les problèmes, bien qu’ils en aient envié la connaissance à la postérité. Et nous-mêmes ne nous servons-nous pas d’une espèce d’arithmétique, nommée algèbre, qui consiste à opérer sur un nombre ce que les anciens opéraient sur les figures ? Or ces deux sortes d’analyse ne sont autre chose que les fruits spontanés des principes innés de cette méthode ; et je ne suis pas étonné qu’appliquées aux objets si simples de ces deux sciences elles aient obtenu un développement plus heureux que dans les autres, où de plus grands obstacles les étouffent ordinairement, mais où cependant elles peuvent encore atteindre infailliblement à une parfaite maturité, pourvu qu’elles soient cultivées avec soin.

C’est là le but principal de ce traité ; car je ne ferais pas