Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/415

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grand cas de ces règles si elles n’étaient utiles qu’à résoudre les vains problèmes dont les calculateurs et les géomètres ont coutume d’amuser leurs loisirs, et je croirais, dans ce cas, n’avoir réussi qu’à m’occuper de bagatelles avec plus de subtilité peut-être que les autres. Et bien que dans ce traité j’aille souvent parler de figures et de nombres, parce qu’il n’est aucune science à laquelle on puisse demander des exemples aussi évidents et aussi certains, toutefois, quiconque suivra attentivement ma pensée s’apercevra facilement que je n’embrasse rien moins que les mathématiques ordinaires, mais que j’expose une certaine autre science dont elles sont plutôt l’enveloppe que les parties. En effet, cette science doit contenir les premiers rudiments de la raison humaine et servir en outre à extraire d’un sujet quelconque les vérités qu’il renferme ; et, pour parler librement, je suis persuadé qu’elle est préférable à toutes les autres connaissances que les hommes nous ont transmises, puisqu’elle en est la source. Si j’ai parlé d’enveloppe, ce n’est pas que je veuille envelopper et cacher cette science pour en éloigner le vulgaire ; je désire au contraire la vêtir et l’orner de telle sorte qu’elle soit plus à la portée de l’esprit.

Quand je commençais à me livrer aux mathématiques, je me mis à lire la plupart des ouvrages de ceux qui les ont cultivées ; j’étudiai surtout l’arithmétique et la géométrie, parce qu’elles étaient, dit-on, les plus simples et comme une voie pour arriver aux autres sciences ; mais ni dans l’une ni dans l’autre je ne rencontrai un auteur qui me satisfît pleinement. Sans doute, en faisant subir l’épreuve du calcul à leurs propositions sur les nombres, je reconnaissais que la plupart étaient exactes ; quant aux figures, ils me mettaient en quelque sorte sous les yeux un grand nombre de vérités, et souvent ils concluaient juste en se dirigeant d’après certains résultats ; mais pourquoi ces choses étaient ainsi, et comment on parvenait à les découvrir, ils ne me paraissaient pas le montrer suffisamment. Aussi ne m’étonnais-je pas que la plupart même des hommes habiles et instruits, après avoir effleuré ces sciences, les négligeassent aussitôt comme des connaissances puériles et vaines, ou qu’au contraire ils s’arrêtassent effrayés sur le seuil même, les regardant comme des études très-difficiles et très-embrouillées.

En effet, rien de plus vide que de s’occuper de nombres stériles et de figures imaginaires, au point de paraître vouloir