Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/425

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et que toutes les fois qu’on ne peut ramener à l’intuition une connaissance quelconque, il faut rejeter les liens du syllogisme, et n’avoir foi que dans l’induction, seul recours qui nous reste ; car toutes les propositions que nous déduisons immédiatement l’une de l’autre, pourvu que la déduction soit évidente, sont dès lors ramenées à une véritable intuition. Mais si nous inférons une conséquence de propositions nombreuses et disjointes, souvent la capacité de notre intelligence n’est pas assez grande pour pouvoir les embrasser toutes d’une seule intuition ; auquel cas la certitude de cette opération doit nous suffire. De même nous ne pouvons pas d’un seul coup d’œil distinguer tous les anneaux d’une chaîne trop longue ; mais néanmoins, si nous avons vu l’union de chaque anneau avec celui qui le précède et avec celui qui le suit, cela nous suffira même pour dire que nous avons vu comment le dernier se rattache au premier.

J’ai dit que cette opération doit être suffisante, parce que souvent elle peut être défectueuse, et par conséquent sujette à l’erreur. Quelquefois, en effet, tout en parcourant par la voie de l’énumération une longue suite de propositions de la plus grande évidence, si pourtant nous en omettons une seule, fût-ce la moindre, la chaîne se rompt et toute la certitude de la conclusion disparaît. Parfois aussi nous embrassons tout dans notre énumération, mais nous ne distinguons pas chaque proposition séparément, en sorte que nous n’avons du tout qu’une connaissance confuse.

Quelquefois cette énumération doit être complète, quelquefois distincte ; d’autres fois enfin elle n’a besoin d’aucun de ces deux caractères ; aussi ai-je dit seulement qu’elle doit être suffisante. En effet, si je veux prouver par énumération combien de sortes d’êtres sont corporels, ou de quelle manière ils tombent sous les sens, je n’affirmerai pas qu’il y en a tant, et non davantage, si je ne sais avec certitude que je les ai tous compris dans mon énumération et distingués les uns des autres ; mais si par le même moyen je veux montrer que l’âme raisonnable n’est pas corporelle, il ne sera pas besoin que l’énumération soit complète ; mais il suffira de réunir tous les corps sous quelques catégories, de manière à prouver que l’âme raisonnable ne peut se rapporter à aucune d’elles. Si enfin je veux montrer par énumération que la surface d’un cercle est plus grande que celle de toutes les autres figures dont le périmètre est égal, il n’est pas besoin de passer en