Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/431

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mence par la nature et s’achève par l’esprit. Universale inchoatur a naturâ, perficitur ab intellectu.

Ceux qui pensent le contraire, et qui mettent l’universalité dans les choses mêmes, indépendamment de l’esprit, ne tombent dans cette erreur que pour n’avoir pas compris la nature de nos idées, qui regardent d’une même vue les objets semblables quoique distingués, et pour avoir transporté l’unité qui est dans l’idée aux objets qu’elle représente.

Il paraît par la doctrine précédente que, de même qu’il se fait par les précisions une distinction de raison fondée sur quelque distinction réelle, il se fait, dans l’universalité, une espèce d’unité de raison fondée sur la ressemblance qui donne lieu à l’esprit de concevoir plusieurs choses, par exemple, plusieurs hommes et plusieurs triangles sous une même raison, c’est-à-dire sous celle d’homme et sous celle de triangle.

Nous ne connaissons pas ce qui fait précisément la différence numérique ou individuelle.

Il faut observer une chose très-importante pour entendre la nature et les causes des idées universelles ; c’est que nous ne connaissons pas ce qui fait précisément la différence numérique et individuelle des choses, c’est-à-dire ce qui fait qu’un cercle diffère précisément d’un autre cercle, ou un homme d’un autre homme. Si on me dit qu’un cercle est reconnu différent d’un autre, parce qu’il est plus ou moins grand, je puis supposer deux cercles parfaitement égaux qui n’en seront pas moins distingués ; je ne sais point distinguer deux œufs ni deux gouttes d’eau. Il en serait de même de deux hommes qui seraient tout à fait semblables : témoin ces deux jumeaux tant connus de toute la cour, pour ne point parler de ceux de Virgile, qui, par la conformité de leur taille et de tous leurs traits faisaient une illusion agréable aux yeux de leurs propres parents, en sorte qu’ils ne pouvaient les distinguer l’un de l’autre.

Cela montre évidemment qu’outre les divers caractères qui conviennent ordinairement à chaque individu de la même espèce, et qui nous aident à les distinguer, il y a une distinction plus substantielle et plus foncière, mais, en même temps, inconnue à l’esprit humain.