Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/451

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les hommes se sont relâchés de leur attention, et égarés, par conséquent, lorsqu’ils ont été destitués de ce guide fidèle de l’expérience qui les aidait et soutenait dans leur démarche, comme fait cette petite machine roulante qui empêche les enfants de tomber en marchant. Il y avait quelque succedaneum, mais c’est de quoi on ne s’était pas et ne s’est pas encore avisé assez. Et j’en parlerai en son lieu. Au reste, le bleu et le rouge ne sont guère capables de fournir matière à des démonstrations, par les idées que nous en avons, parce que ces idées sont confuses. Et ces couleurs ne fournissent de la matière au raisonnement qu’autant que par l’expérience on les trouve accompagnés de quelques idées distinctes, mais où la connexion avec leurs propres idées ne paraît point.

La méthode des probabilités.

Théophile. Je tiens que la recherche des degrés de probabilité serait très-importante et nous manque encore, et c’est un grand défaut de nos logiques. Car lorsqu’on ne peut point décider absolument la question, on pourrait toujours déterminer le degré de vraisemblance ex datis, et par conséquent on peut juger raisonnablement quel parti est le plus apparent. Je ne sais si l’établissement de l’art d’estimer les vérisimilitudes ne serait pas plus utile qu’une bonne partie de nos sciences démonstratives, et j’y ai pensé plus d’une fois.

Philalèthe. La connaissance sensitive, ou qui établit l’existence des êtres particuliers hors de nous va au delà de la simple probabilité ; mais elle n’a pas toute la certitude des deux degrés de connaissance dont on vient de parler. Que l’idée que nous recevons d’un objet extérieur soit dans notre esprit, rien n’est plus certain, et c’est une connaissance intuitive ; mais de savoir si de là nous pouvons inférer certainement l’existence d’aucune chose hors de nous qui corresponde à cette idée, c’est ce que certaines gens croient qu’on peut mettre en question, parce que les hommes peuvent avoir de telles idées dans leur esprit, lorsque rien de tel n’existe actuellement. Pour moi, je crois pourtant qu’il y a un degré d’évidence qui nous élève au-dessus du doute. On est invinciblement convaincu qu’il y a une grande différence entre les perceptions qu’on a lorsque de jour on vient regarder le soleil, et lorsque de nuit on pense à cet astre ; et l’idée qui