Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/458

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Théophile. Votre raisonnement sur le peu d’usage des syllogismes est plein de quantité de remarques solides et belles. Et il faut avouer que la forme scolastique des syllogismes est peu employée dans le monde, et qu’elle serait trop longue et embrouillerait si on la voulait employer sérieusement. Et cependant, le croiriez-vous ? je tiens que l’invention de la forme des syllogismes est une des plus belles de l’esprit humain et même des plus considérables. C’est une espèce de mathématique universelle dont l’importance n’est pas assez connue ; et l’on peut dire qu’un art d’infaillibilité y est contenu, pourvu qu’on sache et qu’on puisse s’en bien servir, ce qui n’est pas toujours permis. Or, il faut savoir que par les arguments en forme je n’entends pas seulement cette manière scolastique d’argumenter dont on se sert dans les colléges, mais tout raisonnement qui conclut par la force de la forme, et où l’on n’a besoin de suppléer aucun article ; de sorte qu’un sorite, un autre tissu de syllogismes qui évite la répétition, même un compte bien dressé, un calcul d’algèbre, une analyse des infinitésimales, me seront à peu près des arguments en forme, puisque leur forme de raisonner a été prédémontrée, en sorte qu’on est sûr de ne s’y point tromper. Et peu s’en faut que les démonstrations d’Euclide ne soient des arguments en forme le plus souvent ; car quand il fait des enthymèmes en apparence, la proposition supprimée et qui semble manquer est suppléée par la citation à la marge, où l’on donne le moyen de la trouver déjà démontrée ; ce qui donne un grand abrégé sans rien déroger à la force. Ces inversions, compositions et divisions des raisons, dont il se sert, ne sont que des espèces de formes d’argumenter particulières et propres aux mathématiciens et à la matière qu’ils traitent, et ils démontrent ces formes avec l’aide des formes universelles de la logique.

Il y a une infinité d’autres tissus plus composés, non-seulement parce qu’un plus grand nombre de syllogismes simples y entrent, mais encore parce que les syllogismes ingrédients sont plus différents entre eux ; car on y peut faire entrer non-seulement des catégoriques simples, mais encore des copulatifs, et non-seulement des catégoriques, mais encore des hypothétiques ; et non-seulement des syllogismes pleins, mais encore des enthymèmes où les propositions qu’on croit évidentes sont supprimées. Et tout cela joint avec des conséquences à syllogistiques et avec des transpositions des