Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/46

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Mais, si l’on eût voulu se servir de celui qu’on apporte d’ordinaire, qui est la risibilité, que l’on dit être une propriété de l’homme, on eût avancé une chose assez obscure et très-contestable ; car, si l’on entend par le mot risibilité le pouvoir de faire une certaine grimace qu’on fait en riant, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas dresser des bêtes à faire cette grimace, et peut-être même qu’il y en a qui la font. Que si on enferme dans ce mot, non-seulement le changement que le ris fait dans le visage, mais aussi la pensée qui l’accompagne et qui le produit, et qu’ainsi l’on entende par risibilité le pouvoir de rire en pensant, toutes les actions des hommes deviendront des propriétés réciproques en cette manière, n’y en ayant point qui ne soient propres à l’homme seul, si on les joint avec la pensée. Ainsi, l’on dira que c’est une propriété de l’homme de marcher, de boire, de manger, parce qu’il n’y a que l’homme qui marche, qui boive et qui mange en pensant : pourvu qu’on l’entende de cette sorte, nous ne manquerons pas d’exemples de propriétés ; mais encore ne seront-ils pas certains dans l’esprit de ceux qui attribuent des pensées aux bêtes, et qui pourront aussi bien leur attribuer le ris avec la pensée ; au lieu que celui dont on s’est servi est certain dans l’esprit de tout le monde.

On a voulu montrer de même, en un endroit, qu’il y avait des choses corporelles que l’on concevait d’une manière spirituelle et sans se les imaginer ; et sur cela on a rapporté l’exemple d’une figure de mille angles que l’on conçoit nettement par l’esprit, quoiqu’on ne puisse s’en former d’image distincte qui en représente les propriétés ; et l’on a dit, en passant, qu’une des propriétés de cette figure était que tous ses angles étaient égaux à 1996 angles droits. Il est visible que cet exemple prouve fort bien ce qu’on voulait faire voir en cet endroit.

Il ne reste plus qu’à satisfaire à une plainte plus odieuse que quelques personnes font, de ce qu’on a tiré d’Aristote des exemples de définitions défectueuses et de mauvais raisonnements ; ce qui leur paraît naître d’un désir secret de rabaisser ce philosophe.

Mais ils n’auraient jamais formé un jugement si peu équitable, s’ils avaient assez considéré les vraies règles que l’on doit garder en citant des exemples de fautes, qui sont celles qu’on a eues en vue en citant Aristote.

Premièrement, l’expérience fait voir que la plupart de ceux qu’on propose d’ordinaire sont peu utiles, et demeurent peu dans l’esprit, parce qu’ils sont formés à plaisir, et qu’ils sont si visibles et si grossiers, que l’on juge comme impossible d’y tomber. Il est donc plus avantageux, pour faire retenir ce qu’on dit de ces défauts, et pour les faire éviter, de choisir des exemples réels tirés de quelque auteur considérable dont la réputation excite davantage à se garder de ces sortes de surprises, dont on voit que les plus grands hommes sont capables.

De plus, comme on doit avoir pour but de rendre tout ce qu’on écrit aussi utile qu’il peut l’être, il faut tâcher de choisir des exemples de fautes qu’il soit bon de ne pas ignorer ; car ce serait fort inutilement