Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/47

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qu’on se chargerait la mémoire de toutes les rêveries de Flud[1], de Van Helmont[2] et de Paracelse[3]. Il est donc meilleur de chercher de ces exemples dans des auteurs si célèbres, qu’on soit même en quelque sorte obligé d’en connaître jusqu’aux défauts.

Or, tout cela se rencontre parfaitement dans Aristote ; car rien ne peut porter plus puissamment à éviter une faute que de faire voir qu’un si grand esprit y est tombé : et sa philosophie est devenue si célèbre par le grand nombre de personnes de mérite qui l’ont embrassée, que c’est une nécessité de savoir même ce qu’il pourrait y avoir de défectueux. Ainsi, comme l’on jugeait très-utile que ceux qui liraient ce livre apprissent, en passant, divers points de cette philosophie, et que néanmoins il n’est jamais utile de se tromper, on les a rapportés pour les faire connaître, et l’on a marqué en passant le défaut qu’on y trouvait, pour empêcher qu’on ne s’y trompât.

Ce n’est donc pas pour rabaisser Aristote, mais, au contraire, pour l’honorer autant que l’on peut en des choses où l’on n’est pas de son sentiment, que l’on a tiré ces exemples de ses livres ; et il est visible, d’ailleurs, que les points où on l’a repris sont de très-peu d’importance, et ne touchent point le fond de sa philosophie, que l’on n’a eu nulle intention d’attaquer.

Que si l’on n’a pas rapporté de même plusieurs choses excellentes que l’on trouve partout dans les livres d’Aristote, c’est qu’elles ne se sont pas présentées dans la suite du discours ; mais si on en eût trouvé l’occasion, on l’eût fait avec joie, et l’on n’aurait pas manqué de lui donner les justes louanges qu’il mérite : car il est certain qu’Aristote est en effet un esprit très-vaste et très-étendu, qui découvre dans les sujets qu’il traite un grand nombre de suites et de conséquences ; et c’est pourquoi il a très-bien réussi en ce qu’il a dit des passions dans le second livre de sa Rhétorique.

Il y a aussi plusieurs belles choses dans ses livres de politique et de morale, dans les Problèmes et dans l’Histoire des animaux ; et quelque confusion que l’on trouve dans ses Analytiques, il faut avouer néanmoins que presque tout ce qu’on sait des règles de la logique est pris de là. De sorte qu’il n’y a point en effet d’auteur dont on ait emprunté plus de choses dans cette Logique, que d’Aristote, puisque le corps des préceptes lui appartient.

Il est vrai qu’il semble que le moins parfait de ses ouvrages soit sa Physique, comme c’est aussi celui qui a été le plus longtemps condamné et défendu dans l’Église, ainsi qu’un savant homme[4] l’a fait voir dans un livre exprès ; mais encore le principal défaut qu’on peut y trouver n’est pas qu’elle soit fausse, mais c’est, au contraire, qu’elle est trop

  1. Robert Flud, né dans le comté de Kent en 1574, mort à Londres. Il est l’auteur du De supernaturali, naturali, præternaturali et contranaturali microcosmi historia.
  2. Jean-Baptiste Van Helmont, né à Bruxelles.
  3. Philippe-Aurèle-Théophraste Paracelse, né en 1493 en Suisse, mort à Salzbourg en 1541.
  4. Jean de Launoy, né à Valogne en 1603, mort à Paris en 1678.