Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/465

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des sciences fourmille de noms illustres ; la surface de la terre est couverte des monuments de nos travaux. Pourquoi donc possédons-nous si peu de connaissances certaines ? Par quelle fatalité les sciences ont-elles fait si peu de progrès ? Sommes-nous destinés à n’être jamais que des enfants ? J’ai déjà annoncé la réponse à ces questions. Les sciences abstraites ont occupé trop longtemps et avec trop peu de fruit les meilleurs esprits, ou l’on n’a point étudié ce qu’il importait de savoir, ou l’on n’a mis ni choix, ni vues, ni méthode dans ces études ; les mots se sont multipliés sans fin, et la connaissance des choses est restée en arrière.

Les faits, de quelque nature qu’ils soient, sont la véritable richesse du philosophe. Mais un des préjugés de la philosophie rationnelle, c’est que celui qui ne saura pas nombrer ses écus ne sera guère plus riche que celui qui n’aura qu’un écu. La philosophie rationnelle s’occupe malheureusement beaucoup plus à rapprocher et à lier les faits qu’on possède qu’à en recueillir de nouveaux.

Nous avons distingué deux sortes de philosophie, l’expérimentale et la rationnelle. L’une a les yeux bandés, marche toujours en tâtonnant, saisit tout ce qui lui tombe sous les mains, et rencontre à la fin des choses précieuses et tâche de s’en former un flambeau ; mais ce flambeau prétendu lui a jusqu’à présent moins servi que le tâtonnement à sa rivale, et cela devait être. L’expérience multiplie ses mouvements à l’infini ; elle est sans cesse en action ; elle met à chercher des phénomènes tout le temps que la raison emploie à chercher des analogies. La philosophie expérimentale ne sait ni ce qui lui viendra ni ce qui ne lui viendra pas de son travail, mais elle travaille sans relâche. Au contraire, la philosophie rationnelle pèse les possibilités, prononce et s’arrête tout court. Elle dit hardiment :

— On ne peut décomposer la lumière.

La philosophie expérimentale l’écoute et se tait devant elle pendant des siècles entiers ; puis, tout à coup elle montre le prisme et dit :

— La lumière se décompose.

Diderot, de l’Interprétation de la nature.

X

TURGOT

Utilité des hypothèses pour la science.

Toutes les fois qu’il s’agit de trouver la cause d’un effet, ce n’est que par voie d’hypothèse qu’on peut y parvenir, lorsque l’effet seul est connu.

On remonte, comme on peut, de l’effet à la cause, pour tâcher de