Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/48

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vraie, et qu’elle ne nous apprend que des choses qu’il est impossible d’ignorer. Car qui peut douter que toutes choses ne soient composées de matière et d’une certaine forme de cette matière ? qui peut douter qu’afin que la matière acquière une nouvelle manière et une nouvelle forme, il faut qu’elle ne l’eût pas auparavant, c’est-à-dire qu’elle en eût la privation ? qui peut douter enfin de ces autres principes métaphysiques, que tout dépend de la forme ; que la matière seule ne fait rien ; qu’il y a un lieu, des mouvements, des qualités, des facultés ? Mais après qu’on a appris toutes ces choses, il ne semble pas qu’on ait appris rien de nouveau, ni qu’on soit plus en état de rendre raison d’aucun des effets de la nature.

Que s’il se trouvait des personnes qui prétendissent qu’il n’est permis en aucune sorte de témoigner qu’on n’est pas du sentiment d’Aristote, il serait aisé de leur faire voir que cette délicatesse n’est pas raisonnable.

Car si l’on doit de la déférence à quelques philosophes, ce ne peut être que par deux raisons : ou dans la vue de la vérité qu’ils auraient suivie, ou dans la vue de l’opinion des hommes qui les approuvent.

Dans la vue de la vérité, on leur doit du respect lorsqu’ils ont raison ; mais la vérité ne peut obliger de respecter la fausseté en qui que ce soit.

Pour ce qui regarde le consentement des hommes dans l’approbation d’un philosophe, il est certain qu’il mérite aussi quelque respect, et qu’il y aurait de l’imprudence de le choquer, sans user de grandes précautions ; et la raison en est, qu’en attaquant ce qui est reçu de tout le monde, on se rend suspect de présomption, en croyant avoir plus de lumière que les autres.

Mais lorsque le monde est partagé touchant les opinions d’un auteur, et qu’il y a des personnes considérables de côté et d’autre, on n’est plus obligé à cette réserve, et l’on peut librement déclarer ce qu’on approuve ou ce qu’on n’approuve pas dans ces livres sur lesquels les personnes de lettres sont divisées, parce que ce n’est pas tant alors préférer son sentiment à celui de cet auteur et de ceux qui l’approuvent, que se ranger au parti de ceux qui sont contraires en ce point.

C’est proprement l’état où se trouve maintenant la