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mot opinari, dans la pureté de la langue latine, signifie la disposition d’un esprit qui consent trop légèrement à des choses incertaines, et qui croit ainsi savoir ce qu’il ne sait pas. C’est pourquoi tous les philosophes soutenaient sapientem nihil opinari ; et Cicéron, en se blâmant lui-même de ce vice, dit qu’il était magnus opinator[1].


CHAPITRE IV

Des idées des choses et des idées des signes.


Quand on considère un objet en lui-même et dans son propre être, sans porter la vue de l’esprit à ce qu’il peut représenter, l’idée qu’on en a est une idée de chose, comme l’idée de la terre, du soleil ; mais quand on ne regarde un certain objet que comme en représentant un autre, l’idée qu’on en a est une idée de signe, et ce premier objet s’appelle signe. C’est ainsi qu’on regarde d’ordinaire les cartes et les tableaux. Ainsi le signe enferme deux idées, l’une de la chose qui représente, l’autre de la chose représentée ; et sa nature consiste à exciter la seconde par la première.

On peut faire diverses divisions des signes ; mais nous nous contenterons ici de trois qui sont de plus grande utilité.

1o Il y a des signes certains qui s’appellent en grec τεκμήρια, comme la respiration l’est de la vie des animaux ; et il y en a qui ne sont que probables, et qui sont appelés en grec σημεῖα, comme la pâleur n’est qu’un signe probable de grossesse dans les femmes.

La plupart des jugements téméraires viennent de ce que l’on confond ces deux espèces de signes, et que l’on attribue un effet à une certaine cause, quoiqu’il puisse aussi naître d’autres causes, et qu’ainsi il ne soit un signe probable de cette cause.

2o Il y a des signes joints aux choses, comme l’air du visage, qui est

  1. « Nec tamen ego is sum, qui nihil unquam falsi approbem, qui nunquam assentiar, qui nihil opiner ; sed quærimus de sapiente. Ego vero ipse et magnus quidem sum opinator (non enim sum sapiens), etc. » Acad., liv. II.