Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/72

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signe des mouvements de l’âme, est joint à ces mouvements qu’il signifie ; les symptômes, signes des maladies, sont joints à ces maladies ; et pour me servir d’exemples plus grands, comme l’arche, signe de l’Église, était jointe à Noé et à ses enfants, qui étaient la véritable Église de ce temps-là ; ainsi nos temples matériels, signes des fidèles, sont souvent joints aux fidèles ; ainsi la colombe, figure du Saint-Esprit, était jointe au Saint-Esprit ; ainsi le lavement du baptême, figure de la régénération spirituelle, est joint à cette régénération.

Il y a aussi des signes séparés des choses, comme les sacrifices de l’ancienne loi, signes de Jésus-Christ immolé, étaient séparés de ce qu’ils représentaient.

Cette division des signes donne lieu d’établir ces maximes :

1o Qu’on ne peut jamais conclure précisément, ni de la présence du signe à la présence de la chose signifiée, puisqu’il y a des signes de choses absentes ; ni de la présence du signe à l’absence de la chose signifiée, puisqu’il y a des signes de choses présentes. C’est donc par la nature particulière du signe qu’il en faut juger.

2o Que, quoique une chose dans un état ne puisse être signe d’elle-même dans ce même état, puisque tout signe demande une distinction entre la chose représentante et celle qui est représentée, néanmoins il est très-possible qu’une chose dans un certain état se représente dans un autre état, comme il est très-possible qu’un homme dans sa chambre se représente prêchant ; et qu’ainsi la seule distinction d’état suffit entre la chose figurante et la chose figurée, c’est-à-dire qu’une même chose peut être dans un certain état chose figurante et dans un autre chose figurée.

3o Qu’il est très-possible qu’une même chose cache et découvre une autre chose en même temps, et qu’ainsi ceux qui ont dit que rien ne paraît par ce qui le cache ont avancé une maxime très-peu solide ; car la même chose, pouvant être en même temps et chose et signe, peut cacher comme chose ce qu’elle découvre comme signe : ainsi la cendre chaude cache le feu comme chose et le découvre comme signe ; ainsi les formes empruntées par les anges les couvraient comme chose et les découvraient comme signes ; ainsi les symboles eucharistiques cachent le corps de Jésus-Christ comme chose et le découvrent comme symbole.

4o L’on peut conclure que la nature du signe consistant à exciter dans les sens par l’idée de la chose figurante celle de la chose figurée, tant que cet effet subsiste, c’est-à-dire tant que cette double idée est excitée, le signe subsiste, quand même cette chose serait détruite en sa propre nature. Ainsi il n’importe que les couleurs de l’arc-en-ciel, que Dieu a prises pour signe qu’il ne détruirait plus le genre humain par un déluge, soient réelles et véritables, pourvu que nos sens aient toujours la même impression, et qu’ils se servent de cette impression pour concevoir la promesse de Dieu.

Il n’importe de même que le pain de l’eucharistie subsiste en sa propre nature, pourvu qu’il excite toujours dans nos sens l’image d’un pain qui nous serve à concevoir de quelle sorte le corps de Jésus--