Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/77

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sentent qu’une seule chose, comme l’idée que chacun a de soi-même, et les autres en peuvent également représenter plusieurs, comme, lorsque quelqu’un conçoit un triangle sans y considérer autre chose, sinon que c’est une figure à trois lignes et à trois angles, l’idée qu’il en a formée peut lui servir à concevoir tous les autres triangles.

Les idées qui ne représentent qu’une seule chose s’appellent singulières[1] ou individuelles, et ce qu’elles représentent, des individus ; et celles qui en représentent plusieurs s’appellent universelles, communes, générales.

Les noms qui servent à marquer les premières s’appellent propres, Socrate, Rome, Bucéphale, et ceux qui servent à marquer les dernières, communs et appellatifs, comme homme, ville, cheval ; et tant les idées universelles que les noms communs peuvent s’appeler termes généraux.

Mais il faut remarquer que les mots sont généraux en deux manières : l’une, que l’on appelle univoque, qui est lorsqu’ils sont liés avec des idées générales ; de sorte que le même mot convient à plusieurs, et selon le son, et selon une même idée qui y est jointe : tels sont les mots dont on vient de parler, d’homme, de ville, de cheval.

L’autre, qu’on appelle équivoque, qui est lorsqu’un même son a été lié par les hommes à des idées différentes ; de sorte que le même son convient à plusieurs, non selon une même idée, mais selon les idées différentes auxquelles il se trouve joint dans l’usage : ainsi le mot canon signifie une machine de guerre, et un décret de concile, et une sorte d’ajustement[2] ; mais il ne les signifie que selon des idées toutes différentes.

Néanmoins cette universalité équivoque est de deux sortes. Car les différentes idées jointes à un même son, ou n’ont aucun rapport naturel entre elles, comme dans le mot de canon, ou en ont quelqu’un, comme lorsqu’un mot étant principalement joint à une idée, on ne le joint à une autre idée que parce qu’elle a un rapport de cause ou d’effet, ou de signe, ou de ressemblance à la première ; et alors ces sortes de mots équivoques s’appellent analogues ; comme quand le mot de sain s’attribue à l’animal, à l’air et aux viandes, car l’idée jointe à ce mot est princi-

  1. C’est-à-dire ayant une unité individuelle et propre, τὸ καθ᾽ ἕκαστον. C’est le grand principe opposé par Aristote à Platon. « La première propriété, dit Bossuet, qui convient à une chose existante, c’est l’unité individuelle. » Logique, I, 29.
  2. Le canon était une espèce d’ornement d’étoffe en rouleau.