Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les mots de sens d’un auteur, de doctrine d’un auteur sur un tel sujet, sont encore de ce nombre, surtout quand un auteur n’est pas si clair qu’on ne dispute quelle a été son opinion, comme nous voyons que les philosophes disputent tous les jours touchant les opinions d’Aristote, chacun le tirant de son côté. Car, quoique Aristote n’ait qu’un seul et unique sens sur un tel sujet, néanmoins, comme il est différemment entendu, ces mots de sentiment d’Aristote sont équivoques par erreur, parce que chacun appelle sentiment d’Aristote ce qu’il a compris être son véritable sentiment ; et ainsi, l’un comprenant une chose et l’autre une autre, ces termes de sentiment d’Aristote sur un tel sujet, quelque individuels qu’ils soient en eux-mêmes, pourront convenir à plusieurs choses, savoir : à tous les divers sentiments qu’on lui aura attribués, et ils signifieront dans la bouche de chaque personne ce que chaque personne aura conçu être le sentiment de ce philosophe.

Mais, pour mieux comprendre en quoi consiste l’équivoque de ces termes, que nous avons appelés équivoques par erreur, il faut remarquer que ces mots sont connotatifs ou expressément, ou dans le sens. Or, comme nous avons déjà dit, on doit considérer, dans les mots connotatifs, le sujet, qui est directement, mais confusément exprimé, et la forme ou le mode, qui est distinctement, quoique indirectement exprimé. Ainsi, le blanc signifie confusément un corps, et la blancheur distinctement ; sentiment d’Aristote signifie confusément quelque opinion, quelque pensée, quelque doctrine, et distinctement la relation de cette pensée à Aristote, auquel on l’attribue.

Or, quand il arrive de l’équivoque dans ces mots, ce n’est pas proprement à cause de cette forme ou de ce mode, qui, étant distinct, est invariable ; ce n’est pas aussi à cause du sujet confus, lorsqu’il demeure dans cette confusion : car, par exemple, le mot de prince des philosophes ne peut jamais être équivoque, tant qu’on n’appliquera cette idée de prince des philosophes à aucun individu distinctement connu ; mais l’équivoque arrive seulement parce que l’esprit, au lieu de ce sujet confus, y substitue souvent un sujet distinct et déterminé, auquel il attribue la forme et le mode. Car, comme les hommes sont de différents avis sur ce sujet, ils peuvent donner cette qualité à diverses personnes, et les marquer ensuite par ce mot, qu’ils croient leur convenir, comme autrefois on entendait Platon par le nom de prince des philosophes, et maintenant on entend Aristote.

Le mot de véritable religion n’étant pas joint avec l’idée distincte d’aucune religion particulière, et demeurant dans son idée confuse, n’est point équivoque, puisqu’il ne signifie que ce qui est en effet la véritable religion. Mais lorsque l’esprit a joint à cette idée de véritable religion à une idée distincte d’un certain culte particulier distinctement connu, ce mot devient très-équivoque, et signifie, dans la bouche de chaque peuple, le culte qu’il prend pour véritable.

Il en est de même de ces mots, sentiment d’un tel philosophe sur une telle matière ; car, demeurant dans leur idée générale, ils signifient simplement et en général la doctrine que ce philosophe a enseignée sur