Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/88

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cette matière, comme ce qu’a enseigné Aristote sur la nature de notre âme, id quod sensit talis scriptor ; et cet id, c’est-à-dire cette doctrine, demeurant dans son idée confuse sans être appliquée à une idée distincte, ces mots ne sont nullement équivoques ; mais lorsqu’au lieu de cet id confus, de cette doctrine confusément conçue, l’esprit substitue une doctrine distincte et un sujet distinct, alors, selon les différentes idées distinctes qu’il y pourra substituer, ce terme deviendra équivoque. Ainsi, l’opinion d’Aristote touchant la nature de notre âme est un mot équivoque dans la bouche de Pomponace[1], qui prétend qu’il l’a crue mortelle, et dans celle de plusieurs autres interprètes de ce philosophe, qui prétendent, au contraire, qu’il l’a crue immortelle, aussi bien que ses maîtres Platon et Socrate. Et de là il arrive que ces sortes de mots peuvent souvent signifier une chose à qui la forme exprimée indirectement ne convient pas. Supposant, par exemple, que Philippe n’ait pas été véritablement père d’Alexandre, comme Alexandre lui-même le voulait faire croire, le mot de fils de Philippe, qui signifie en général celui qui a été engendré par Philippe, étant appliqué par erreur à Alexandre, signifiera une personne qui ne serait pas véritablement le fils de Philippe.

Le mot de sens de l’Écriture étant appliqué par un hérétique à une erreur contraire à l’Écriture, signifiera dans sa bouche cette erreur qu’il aura cru être le sens de l’Écriture, et qu’il aura, dans cette pensée, appelée le sens de l’Écriture. C’est pourquoi les calvinistes n’en sont pas plus catholiques, pour protester qu’ils ne suivent que la parole de Dieu, car ces mots de parole de Dieu signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu’ils prennent faussement pour la parole de Dieu.


CHAPITRE IX

De la clarté et distinction des idées, et de leur obscurité et confusion.


On peut distinguer dans une idée la clarté d’avec la distinction, et l’obscurité d’avec la confusion : car on peut dire qu’une idée nous est claire quand elle nous frappe vivement, quoiqu’elle ne soit point distincte, comme l’idée de la douleur nous frappe très-vivement, et, selon cela, peut être appelée claire ; et néanmoins elle est

  1. Pierre Pomponace (Pomponazzi), né à Mantoue en 1462, mort en 1524.