Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/92

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Mais si les hommes ont bien vu que la douleur n’est pas dans le feu qui brûle la main, peut-être qu’ils se sont encore trompés en croyant qu’elle est dans la main que le feu brûle ; au lieu qu’à le bien prendre, elle n’est que dans l’esprit, quoique à l’occasion de ce qui se passe dans la main, parce que la douleur n’est autre chose qu’un sentiment d’aversion que l’âme conçoit de quelque mouvement contraire à la constitution naturelle de son corps.

C’est ce qui a été reconnu, non-seulement par quelques anciens philosophes, comme les cyrénaïques, mais aussi par saint Augustin en divers endroits. Les douleurs (dit-il dans le livre XIV de la Cité de Dieu, chap. xv) qu’on appelle corporelles, ne sont pas du corps, mais de l’âme, qui est dans le corps, et à cause du corps : Dolores qui dicuntur carnis, animæ sunt, in carne, et ex carne ; car la douleur du corps, ajoute-t-il, n’est autre chose qu’un chagrin de l’âme à cause de son corps, et l’opposition qu’elle a à ce qui se fait dans le corps, comme la douleur de l’âme qu’on appelle tristesse, est l’opposition qu’a notre âme aux choses qui arrivent contre notre gré : Dolor carnis tantummodo offensio est animæ ex carne et quædal ab ejus passione dissensio ; sicuti animæ dolor, quæ tristitia nuncupatur, dissensio est ab his rebus, quæ nobis nolentibus acciderunt.

Et au livre vii de la Genèse à la lettre, chap. 19, la répugnance que ressent l’âme de voir que l’action par laquelle elle gouverne le corps est empêchée par le trouble qui arrive dans son tempérament est ce qui s’appelle douleur : Quum afflictiones corporis moleste sentit (anima), actionem suam, qua illi regendo adest, turbato ejus temperamento impediri offenditur, et hæc offensio dolor vocatur.

En effet, ce qui fait voir que la douleur qu’on appelle corporelle est dans l’âme, non dans le corps, c’est que les mêmes choses qui nous causent de la douleur quand nous y pensons, ne nous en causent point lorsque notre esprit est fortement occupé ailleurs, comme ce prêtre de Calame, en Afrique, dont parle saint Augustin