Page:Arnold - La Lumière de l’Asie.djvu/48

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une fête nuptiale ; toutes choses parlaient de paix et d’abondance et le Prince voyait et se réjouissait. Mais regardant au fond des choses, il vit les épines qui poussaient sous cette rose de la vie ; il vit que le paysan halé gagnait son salaire à la sueur de son front» peinant pour avoir le droit, de vivre ; qu’il pressait les bœufs aux grands yeux, pendant les heures brûlantes, en aiguillonnant leurs flancs veloutés ; il remarqua aussi que le lézard nageait la fourmi et que le milan les mangeait tous deux, et que le faucon-pêcheur dérobait au chat-tigre la proie qu’il avait saisie ; il vit la pie-grièche poursuivant le boulboul qui chassait les papillons aux couleurs d’escarboucles ; en sorte que partout chacun tuait un meurtrier et était tué à son tour, la vie vivant de la mort. Ainsi, le spectacle enchanteur voilait une vaste, sauvage, horrible conspiration de meurtre mutuel, depuis le ver jusqu’à l’homme, qui lui-même tue semblable ; voyant cela — le laboureur affamé et ses bœufs aux cous écorchés par le joug cruel, et cette rage de vivre qui fait combattre tout être vivant — le prince Siddârtha soupira « Est-ce là, dit-il, cette terre heureuse que l’on m’a montré ? Que de sel avec le doux pain du paysan ! combien est dur le servage des bœufs ; combien est féroce la guerre du faible et du fort dans les halliers ! que de complote dans l’air I dans l’eau même pas de refuge ! Retirez-vous un peu à l’écart et laissez-moi réfléchir sur ce que vous m’avez fait voir. »