Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/243

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relie l’auraient peut-être empêché toujours de construire ce poème s’il n’en avait pas trouvé les matériaux tout prêts sous sa main. Il les a presque tous empruntés, mais le dessin grand et simple suivant lequel il les a agencés lui appartient en propre, et le sentiment qui l’a inspiré, nous l’avons vu dans le détail, lui est absolument personnel.

En définitive, une douce et profonde mélancolie, venant de la chute des chères illusions de jeunesse, et en même temps un riant et naïf amour de la campagne, tels sont les deux sentiments pénétrants qui, harmonieusement fondus, ont rencontré une expression définitive dans les Stances sur la Retraite : ne nous étonnons point de cet amalgame singulier au premier abord, en remarquant que tous les grands sentiments de l’âme humaine sont teintés de mélancolie, car notre cœur est ainsi fait que nous n’aimons jamais si fortement les biens de ce monde que le jour où nous les avons perdus, et que nul ne chante mieux la patrie que l’exilé, la santé que le malade, l’amour que l’amant trahi, la foi que l’apostat, la campagne que le citadin forcé… ; c’est ce qui fait que nos plus grands poètes de sentiment sont des mélancoliques, tels Chénier, Lamartine et Musset. Racan est un de leurs lointains et modestes devanciers dans une gamme moins douloureuse, plus apaisée, plus sensée et plus française[1].

  1. On voit donc avec quelles prudentes réserves il faut faire de Racan un des ancêtres de « la mélancolie ».